Un barrage contre le Pacifique
Dans le sud de l’Indochine Française en 1931, une veuve vit avec ses deux enfants, Joseph et Suzanne (20 et 16 ans). Leur bungalow est isolé dans la plaine marécageuse de Kam sur le littoral cambodgien proche du petit port de Ram. Leurs conditions de vie sont déplorables à cause de leurs faibles revenus. Ils ne possèdent qu'une vieille automobile modèle B12 en fin de vie rafistolée de toute part.
La mère a économisé et travaillé dans un cinéma comme pianiste durant 15 ans pour se voir attribuer cette concession, qui s'est finalement révélée incultivable : les plantations sont détruites tous les ans par les grandes marées de la mer de chine méridionale que la mère s'obstine à nommer l'Océan Pacifique. La mère, désillusionnée après avoir vu ses barrages détruits et soumise au harcèlement de l'administration corrompue, commence à sombrer dans la folie.
Le récit s'ouvre sur la mort de leur vieux cheval, acheté quelques jours plus tôt.
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CREATION AVIGNON 2022
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NOTE DE TRAVAIL :
« UNE DESESPEREE DE L’ESPOIR MEME »
En 2014, j’ai eu la chance de jouer avec Emmanuelle Riva Savannah Bay au théâtre de l’Atelier, mis en scène par Didier Bezace. Avant cela la lecture de Un barrage contre le Pacifique m’avait marquée pour toute la vie. Mais c’est aujourd’hui plus que jamais que je ressens un besoin urgent de le jouer, comme une responsabilité face au témoignage de Duras, d’une femme « usée, nudifée » par l’existence que lui a réservée le monde.
Aujourd’hui alors que la condition féminine est arrivée au premier plan des préoccupations de notre société, donner à entendre le destin de cette « mère » me semble essentiel. Elle reste une anonyme, tout au long du roman, jamais ni nommée ni même prénommée, elle est pourtant à mes yeux la chair de l’humanité. Elle porte en elle de manière universelle et intemporelle une forme de la condition féminine.
C’est pourquoi dire Un barrage contre le Pacifique aujourd’hui dépasse l’aspect artistique indéniable, donner à entendre la plus belle langue française, donner à entendre la plus belle attention à l’âme humaine et toutes ses contradictions, ses faiblesses, ses forces cachées, tout ce que l’âme humaine sait se cacher à soi-même et à ses proches, Marguerite Duras nous le dévoile avec une virtuosité, une délicatesse dont je ne pourrais jamais me lasser.
J’ai la conviction profonde que c’est ici et maintenant qu’il faut faire entendre Un barrage contre le pacifique qu’il s’agit d’un acte politique. Comment faire pour que ces femmes-là existent, qu’elles soient entendues, qu’elles soient écoutées, qu’elles soient vues, qu’elles soient reconnues qu’elles soient respectées, qu’elles ne soient ni violées, ni battues, ni vendues et qu’elles ne meurent pas… Elle n’est ni une pure héroïne, ni une pure victime. Elle est, comme le soldat inconnu enterré au Panthéon, « la femme inconnue ». Comme lui elle est morte au combat, celui de la vie, et auprès d’elle, avec elle, je veux me battre, moi aussi, portée par et pour ces valeurs les plus sacrées, celles qui devront être appliquées à toutes les femmes : « liberté, égalité, fraternité ».
Pour donner une idée de la mise en scène et de la direction d’actrice de Un barrage contre le Pacifique je voudrais vous donner à imaginer Les raisins de la colère si John Ford m’avait confié tous les rôles : La mère, Suzanne, Joseph. Ils sont ceux-là que nous ne connaissons pas, ces étrangers, ces expatriés, ces migrants, ces pauvres, ces sans-amis. Ils sont dans l’ombre du monde, ils sont à mes yeux les trésors cachés de notre humanité.
En travelling avant, la caméra de Duras s’approche imperceptiblement pour aller vers un seul très gros plan. Elle nous aspire dans l’intimité secrète de leur âme. Elle floute les frontières entre la réalité et la fiction. C’est au théâtre, en direct avec le public, que je souhaite donner à sentir cette approche silencieuse.
(Anne Consigny Mars 2022)
Veuillez me confirmer la place. Merci+++