Aujourd’hui nous rencontrons Fleur et Thibaud Houdinière co-directeurs d'Atelier Théâtre Actuel* : une société de création, de production et de diffusion du spectacle vivant. Ils nous présenteront leur métier de tourneur à l’occasion du Festival Off d’Avignon où nous vous emmenons cet été.
Nous les interrogerons sur les enjeux auxquels ils devront faire face cette année à l’heure de la pandémie mondiale, sur ce que représente le Festival d’Avignon dans leur métier et plus largement, quelle expérience fait-on lorsque l’on va à Avignon !
Pouvez-vous vous présenter en quelques mots ?
THIBAUD – Nous sommes co-directeurs du Théâtre Actuel à Avignon et du Théâtre de la Pépinière à Paris et d'Atelier Théâtre Actuel. Nous avons d’abord été comédiens pendant une dizaine d’années avant de devenir producteurs-tourneurs.
FLEUR - C’est une histoire familiale car mon père, Jean-Claude Houdinière, a créé cette société il y a 50 ans avec son associé Loïc Vollard. Cela fait maintenant 15 ans que Thibaud et moi, qui sommes cousins, avons rejoint la société. Nous sommes arrivés avec notre réseau, notre jeunesse et une nouvelle énergie qui a été source de transformations. Au départ c’était une société de tourneurs, nous sommes finalement devenus les producteurs de nos spectacles, parfois même à 100%. Nous avons donc fait évoluer la société de tourneurs à producteurs-tourneurs** en ayant plusieurs salles comme le Théâtre Actuel à Avignon et la Pépinière à Paris.
Comment appréhendez-vous la reprise du festival d’Avignon cette année ? Quels enjeux cela représente pour vous ?
THIBAUD – C’est un Avignon particulier parce que nous ne savons pas vraiment à quoi nous attendre. Il y a de bons signes précurseurs comme les réservations plus élevées qu’en 2019 et nous sentons qu’il y a une vraie envie de venir à ce festival même s’il s’est préparé en très peu de temps. Je pense qu’Avignon va être la renaissance du théâtre en France et ça s’est super ! Il y a toujours des incertitudes, les conditions sanitaires compliquées à appliquer… Pour ce qui est des mesures, les masques seront obligatoires dans la rue, l’après-midi et le soir. Il y aura des tests à faire pour l’ensemble des équipes deux fois par semaine. Nous avons encouragé nos techniciens et nos comédiens à se faire faire vacciner.
FLEUR - Les jauges seront à 100% mais nous devons aérer 45 minutes entre chaque spectacle. Nous avons réduit notre programmation de 8 à 6 spectacles. Pour le protocole sanitaire, nous feront attendre le public à l’extérieur pour éviter les attroupements. Nous avons également choisi de faire du 100% billetterie en ligne : sur notre site internet et par ticketOFF. Enfin, des QR codes seront placés à l’entrée de notre salle et les spectateurs n’auront qu’à le scanner pour pouvoir acheter leurs places.
THIBAUD – Il était hors de question de ne pas faire ce festival d’Avignon même si ça nous donne l’impression que ça relève de l’héroïsme. Il y a beaucoup de risques, puisque si une personne tombe malade, nous devrons tout arrêter pendant 8 ou 9 jours. Il y a beaucoup de choses à mettre en place et les achats sanitaires pour le théâtre coutent cher…
FLEUR - Nous sommes heureux de reprendre. Tout le monde a envie que ça reparte y compris le public. D’autres producteurs ont reculé devant les risques. Nous, au contraire, nous nous sommes dit qu’il fallait absolument être présents, même si c’est compliqué.
Quel est l’historique du Théâtre Actuel ?
FLEUR - Le Théâtre Actuel a été construit il y a 7 ans. C’était initialement un magasin de cycles et de scooters avec un grand atelier qu’on a aménagé en salle de 189 places avec un plateau de 7,50 sur 7,50 m. A l’intérieur il y a une cour qui nous a permis d’installer un espace restauration pour accueillir les gens dans un lieu convivial avec une vraie mixité entre les comédiens, les techniciens, le public, les auteurs, les metteurs en scène. Tout le monde se retrouve !
THIBAUD - La particularité de ce théâtre c’est qu’il appartient à une société de production et la salle est utilisée essentiellement pour nos propres productions à l’inverse des salles qui louent des créneaux. Nous l’avons pensé comme un lieu de création pour commencer nos spectacles puis les emmener à Paris.
FLEUR - Ce théâtre est pour nous une rampe de lancement. Le festival d’Avignon permet de créer un vrai buzz autour d’un spectacle. Nous avons rarement de mauvais retours et nos productions sont généralement très bien accueillies par le public une fois lancées à Paris.
THIBAUD - Avignon est le rendez-vous incontournable des programmateurs de France, de Suisse et de Belgique pour les théâtres. Avignon nous permet toucher un grand nombre de programmateurs et donc d’avoir plus de ventes en tournées. Si le Petit coiffeur a beaucoup de succès à Paris, il est plus intéressant de l’emmener à Avignon quand où l’on sera déficitaire car c’est ce qui nous permettra de le faire tourner en France.
Font partie des plus belles pages écrites par Atelier Théâtre Actuel ces dernières années :
Marie des poules – Gouvernante chez George Sand (2 Molières 2020)
Est-ce que j’ai une gueule d’Arletty ? (2 Molières 2020)
La Machine de Turing (4 Molières 2019)
Adieu Monsieur Haffmann (4 Molières 2018)
Les Chatouilles (Molière du Seul.e en scène 2016)
Les Cavaliers (Molière du Théâtre Privé 2016)
Les Coquelicots des tranchées (Molière du Théâtre Public 2015)
Le Repas des fauves (3 Molière 2011)
La Machine de Turing (4 Molières en 2019) - Benoit Solès et Amaury de Crayencour
En quoi le public d’Avignon est-il différent du public parisien ?
FLEUR - C’est un public qui est curieux qui aime découvrir beaucoup de spectacles ! On rencontre parfois de « vrais » festivaliers qui arrivent avec un programme personnel tout faits et voient 4, 5 ou 6 spectacles par jour. Ce sont des spectateurs passionnés et c’est très agréable.
THIBAUD - À Paris c’est différent, on va au théâtre dans le cadre d’une soirée pour se détendre après le travail. Ici, on prend son sac à dos et on se dit « je vais voir tels spectacles ». Aussi, les places sont plus accessibles. En une journée, un spectateur peut voir 3 pièces pour 45 euros, car avec la carte OFF la place coûte 15 euros.
Diriez-vous qu’Avignon est un bon baromètre pour le succès d’un spectacle ?
THIBAUD - Il n’y a pas vraiment de règle. On peut dire que si un spectacle marche très bien à Avignon, il y a beaucoup de chance qu’il ait également du succès à Paris. L’inverse en cas de désaveux à Avignon est également vrai.
FLEUR - Il y a aussi des spectacles qui vont avoir du succès ici et qui ne correspondront pas au public parisien.
Quelle est la ligne artistique du Théâtre Actuel ?
FLEUR – Exigeant, populaire et accessible.
THIBAUD - Les pièces proposées sont la plupart du temps contemporaines. On ne fait pas de théâtre de boulevard, on aime raconter des histoires, à travers le théâtre historique par exemple. Nous voulons défendre les auteurs contemporains.
Pourriez-vous nous en dire plus sur le métier de tourneur, l’articulation entre le lieu et les tournées ?
FLEUR – Le métier de tourneur consiste à vendre un spectacle pour qu’il soit joué dans toutes les villes de France, Suisse, Belgique et accessoirement dans le monde ! Nous travaillons par exemple avec les Etats-Unis, le Maroc, le Liban, Israël, la Chine… Nous organisons tout : l’adaptations des décors, les équipes. Évidemment cela comporte des difficultés car voyager peut entrainer un ensemble de complications logistiques : un camion bloqué, un décor qui se casse dans le voyage… C’est formidable en tournée, on retrouve beaucoup d’abonnés et les salles sont pleines d’un public enthousiaste.
THIBAUD - Le principe est de faire découvrir aux spectateurs qui n’ont pas l’occasion de venir ni à Paris, ni à Avignon, tous ces spectacles qui ont du succès. En France nous avons la chance incroyable d’avoir des salles de spectacles dans toutes les villes, voire dans des villages.
FLEUR - Nous devons parfois faire des changements de distribution car certains comédiens qui vont avoir ont des tournages ou doivent partir sur d’autres spectacles. Remplacer ces comédiens par d’autres tout aussi formidables fait aussi partie de notre travail !
Dans les tournées les salles sont souvent très grandes, comment intégrez-vous ces différences d’espaces ?
FLEUR - Notre expertise nous permet de déterminer s’il est possible d’adapter un spectacle à une salle d’une taille très différente de celle où il a été créé. Un spectacle intimiste et ne peut pas s’adapter dans une salle trop grande.
THIBAUD - Dès qu’on produit un spectacle, nous veillons dès le départ à l’adaptabilité de ses décors aux différents volumes. Pour la conception des décors, nous travaillons majoritairement avec Jipanco et Claude Pierson.
FLEUR - Nos techniciens sont formidables et réactifs. Ils peuvent proposer des solutions quand on a une surprise. C’est un travail complexe car de nombreux paramètres entrent en compte, de l’acheminement des décors jusqu’à leur montage.
Pouvez-vous nous présenter quelques-uns de vos spectacles qui seront à l’affiche l’année prochaine ?
Parmi les pièces très attendues il y aura « La maison du loup » au Théâtre du Chêne Noir ; « Lawrence d’Arabie » la nouvelle création d’Eric Bouveron ; « Le visiteur » : la reprise de la pièce d’Eric-Emmanuel Schmitt ; « Vive le sport » : une pièce avec Gérard Holtz dans laquelle il raconte de nombreuses anecdotes sur le milieu du sport ; « Le petit coiffeur » ; « Les filles aux mains jaunes », et beaucoup d’autres…
Nous sommes heureux que le rideau se lève enfin. L’année dernière, ce fut très dur de ne pas faire Avignon et cette année c’est un rendez-vous majeur : la « cerise sur le gâteau ».
La dernière lettre (présenté au Festival Off d'Avignon 2021) - Noémie de Lattre et Marie Bunel
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* Atelier Théâtre Actuel : Dirigée par Jean-Claude, Fleur et Thibaud Houdinière, Atelier Théâtre Actuel (ATA), est une société de création, de production et de diffusion de spectacles vivants, qui fête cette année son 50ème anniversaire.
** Tourneur : le tourneur est celui qui vend le spectacle et organise une tournée. (définition Wikipédia)