Nous avons eu la chance de rencontrer Claude Pierson, directeur des Ateliers Décors à Montreuil qui habillent les scènes des théâtres parisiens depuis de nombreuses années : Théâtre de la Michodière, Théâtre de la Porte Saint-Martin, Théâtres des Bouffes Parisiens, Théâtre de La Renaissance, Théâtre du Palais des Glaces…
Les équipes de Claude Pierson réalisent également l’aménagement intérieur de théâtres comme ce fut le cas pour le Théâtre du Funambule Montmartre ou encore le Théâtre Edgar. Elles sont aujourd’hui particulièrement spécialisés dans les décors de tournée.
Décor de la pièce "Le Ticket Gagnant" au Théâtre Comédie Bastille
Comment se porte votre activité actuellement, suite à la crise sanitaire ?
Etrangement nous avons eu ces derniers temps énormément de demandes de décors. Le planning est plein jusqu’au mois de Septembre !
J’en suis très heureux et très surpris également. L’été est toujours une période très intense chez nous, beaucoup de spectacles démarrant à la rentrée de septembre. Les équipes aimeraient pouvoir partir en vacances l’été mais c’est compliqué de s’échapper, même quelques jours.
J’avais dit à mes équipes que ce serait possible cette année de partir au moins trois semaines, voire un mois, mais tout est en train de repartir et ce ne sera pas le cas !
Il faut de nouveaux spectacles, donc de nouveaux décors.
Les productions m’ont prévenu : si on rouvre les théâtres avec des spectacles que tout le monde a déjà vu cela ne va pas être attrayant. Nous venons d'ailleurs de livrer un décor hier pour le Théâtre Rive Gauche.
Quelle est la spécificité de votre atelier ?
Nous sommes surtout spécialisés dans les décors de tournée.
J’ai pris cette habitude depuis plusieurs années : chaque fois qu’un régisseur rentre de tournée je lui demande ce qui a fonctionné, ce qui a été plus ou moins pratique dans le montage et le démontage des décors.
Les décors de tournée sont plus complexes à créer que des décors fixes car ils vont être montés et démontés tous les jours.
La température joue beaucoup aussi lors des transports. L’hiver il peut faire très froid dans les camions et une fois dans le théâtre le décor subit un changement brusque de température. Le bois travaille beaucoup, il faut donc trouver des solutions pour que tout se passe bien. Il faut également penser l’assemblage de façon à ce qu’il soit extrêmement pratique et rapide.
La Dame de chez Maxim au Théâtre de la Porte Saint-Martin
Il y a aussi ce problème de montage/démontage dans les théâtres classiques en raison de la double programmation le soir avec souvent un spectacle à 19h et un spectacle à 21h, avec changement de décor entre les deux.
En tournée le décor arrive dans un lieu le matin, il doit être monté très rapidement. Les éléments doivent être très légers afin de ne pas être abimés lorsqu’ils sont portés. Pour être ainsi réemployés, les décors sont conçus selon des techniques bien particulières pour qu’ils soient à la fois solides et légers à manipuler.
Autrefois une même pièce avait souvent deux décors : un pour la tournée et un pour le théâtre parisien dans lequel il sera ensuite joué, ou l’inverse. Aujourd’hui c’est rarement le cas.
J’ai eu la chance et le plaisir de réaliser les décors pour le Théâtre de la Michodière. L’ancien administrateur du théâtre, Stewart VAUGHAN, m’avait dit :
« ici nous faisons des pièces de boulevard où ce ne sont pas des portes qui claquent mais des portes qu’on balance ! Je ne veux pas voir le décor bouger ...Et je ne supporte plus que les tourneurs ne puissent pas emmener nos décors sans être obligés de les faire repasser en atelier pour transformation. Si vous savez faire mieux, nous serons des fidèles et nous travaillerons ensemble longtemps ! ».
Notre collaboration a duré 12 ans, jusqu’à ce que le Théâtre de la Michodière soit revendu en 2014.
Quels sont les corps de métier qui travaillent dans l’atelier ?
Il y a tout d’abord les peintres et les menuisiers.
Dans nos ateliers qui ne sont pas très spacieux nous essayons d’alterner les périodes de constructions et les périodes où les peintres prennent le relais pour qu’ils ne soient pas dérangés par les menuisiers à cause du bruit et de la poussière.
Les serruriers interviennent également et sont aussi au cœur de la création de décors.
Ils fabriquent les châssis qui sont à la base des réalisations. Les châssis classiques sont en bois mais pour certaines réalisations il faut concevoir des châssis en acier, notamment parce que c’est un matériau stable qui ne bouge pas, ou en aluminium pour être plus légers.
Les serruriers s’occupent aussi de faire des axes pour les tournettes par exemple, monter un roulement, faire un piètement, découper une platine… Parfois il faut également des serruriers possédant des compétences particulières, comme par exemple savoir réaliser une rampe d’escalier à l’ancienne.
Signé Dumas au Théâtre La Bruyère
Combien de temps nécessite la construction d’un décor ?
Dans un cas classique le scénographe arrive avec une maquette et des plans validés par le metteur en scène et la production. Le temps de construction peut aller de 15 jours à un mois sur des projets relativement simples.
Le temps peut-être plus conséquent, en amont, si nous fonctionnons dans le cadre d’un budget défini auquel il faut adapter le décor prévu initialement. Là il va s’agir de faire des arbitrages entre ce qui est le plus coûteux et éventuellement supprimer certains éléments superflus pour ne conserver que ce qui est essentiel au décor.
C’est toujours un moment délicat de demander à un scénographe qui a travaillé sur un projet d’enlever des éléments car le budget ne permet pas de tout réaliser. Je fais moi-même parfois des réalisations en tant que scénographe et je sais que c’est un crève-cœur de devoir remanier un projet par manque de moyens.... C’est le côté le moins agréable de ce métier !
Je connais très bien la plupart des scénographes avec qui je travaille maintenant. Du coup j’anticipe leurs besoins, ils me font confiance et nous avançons plus rapidement.
Est-ce que j'ai une gueule d'Arletty au Théâtre du Petit Montparnasse
De quoi avez-vous besoin pour réaliser la construction d’un décor ?
Pour réaliser un décor nous avons besoin de deux choses : des plans et une maquette.
La maquette reste très importante malgré toutes les techniques de 3D qui existent actuellement.
J’ai connu une époque où les scénographes créaient des maquettes à grande échelle, tellement précises qu’ils ne faisaient quasiment pas de plans en plus. Nous mesurions tout avec un réglet directement sur la maquette. Cela permet de visualiser plus facilement les volumes et les déplacements des comédiens ce qui est très utile pour les metteurs en scène. Une maquette est tellement plus parlante !
Plus précisément, comment concevez-vous le mobilier et la décoration intérieure ?
Nous réalisons les meubles dans les décors.
Soit en construction sur mesure soit en modifiant du mobilier existant : retapisser, paner, adapter… Pour un décor en cours, nous par avions exemple besoin d’une table de coupe. Une vraie table de coupe est en chêne, très volumineuse et lourde. Nous avons donc dû en construire une plus petite pour s’adapter au décor et dans un bois plus léger.
J’ai aussi réalisé il y a quelque temps un canapé sous lequel devait se cacher une comédienne. Tous les canapés, de style contemporain ou des répliques de meubles anciens, n’étaient pas assez hauts, nous avons dû adapter un modèle existant.
Il y a une trentaine d’années, les décorateurs n’hésitaient pas à louer des meubles chez de grands antiquaires. Aujourd’hui les moyens sont plus réduits, et les locations de meubles ont été remplacées par des achats de mobilier moins onéreux.
La peinture décorative aussi est essentielle. Les techniques de peinture pour un décor de théâtre ne sont pas les mêmes que celles de la décoration d’intérieur.
Je travaillais avant dans la décoration d’appartements. J’avais des peintres dans mon réseau qui pouvaient sans problème réaliser des faux bois, ou des faux marbres. Comme je suis un fidèle j’ai fait appel à l’un d’eux pour réaliser des colonnes en faux marbre. Et ce fut un échec : lorsque le réalisateur est arrivé il s’est placé au fond de la salle et m’a dit « Claude, les colonnes ne devaient pas être en faux marbre ? ». De loin il les voyait unies car le rendu à distance n’était pas du tout le même que lorsque l’on est très proche. Il faut donc que le peintre sache tout grossir pour que l’effet soit réaliste et perceptible à distance.
Ce qui pose parfois problème aujourd’hui dans les captations de pièces, car les caméras sont proches des décors et n’ont pas le recul nécessaire pour apprécier les effets destinés aux spectateurs !
La Machine de Turing au Théâtre Michel
Quelle est la partie de votre métier que vous préférez ?
Lorsque je faisais de la décoration d’intérieur j’étais soumis à des modes, avec parfois l’impression de faire la même chose un an ou deux d’affilés.
A l’inverse il y a toujours une grande variété dans les décors de théâtre, chaque décor est une nouveauté.
Dès le départ j’ai été confronté à des défis techniques qui me paraissaient insurmontables. Mais loin d’être décourageante, cette complexité s’avère être extrêmement motivante !
J’ai par exemple réalisé un décor pour la pièce « Master Class » de Roman Polanski au Théâtre de la Porte Saint-Martin. Le décor était énorme, avec des corniches plus hautes que moi que l’on arrivait à peine à sortir de l’atelier. Nous avons monté ce décor avec le décorateur François de La Motte qui m’avait dit : « nous ferons un plafond en toile », comme on fait souvent au théâtre.
Lorsque Roman Polanski découvre ce décor, il trouve qu’il y a un problème de son. Il se met à quatre pattes sous une table, m’appelle... et là, sous la table, frappe dans ses mains et me dit : « Écoute ! ». Il ressort de sous la table et frappe à nouveau dans ses mains : « Tu vois le son part, il me faut un plafond en dur. Et il me le faut dans deux jours ! ». Nous avons travaillé jour et nuit pendant 2 jours et 3 nuits pour le construire, le peindre et l’installer.
Même pour les décors qui paraissent très simples il y a souvent des défis techniques à relever qui n’ont pas forcément été identifiés en amont. Il faut constamment être en recherche de la meilleure formule.
Double Jeu au Théâtre du Gymnase
Comment avez-vous commencé ce métier ?
J’ai appris mon métier avec un chef d’atelier qui exerçait depuis 20 ans. Quand je lui demandais pourquoi on fait telle chose de telle façon, il me répondait : « On a toujours fait comme ça ! » et j’étais un peu frustré, je voulais essayer de nouvelles choses, utiliser de nouveaux matériaux.
Aujourd’hui je sais qu’il y a des techniques de fabrication éprouvées pour les décors de théâtre et qu’on gagne toujours à les respecter.
Sur des décors éphémères il est possible d’avoir plus facilement les mêmes effets que sur un décor de théâtre construit de façon traditionnelle mais ça ne tiendra pas si le spectacle doit tourner pendant des mois.
Nous avons une grande exigence de qualité dans le travail, qui permet de garantir la longévité de nos réalisations !
Un grand merci à Claude Pierson qui nous a accueilli dans son atelier à Montreuil, un espace de charme de 500 m² qui fut occupé au début du vingtième siècle par la manufacture des pianos Klein.