LES SOEURS : T’as une grosse montre toi dit donc !
SANDRA : Oui, c’est pour surveiller le temps qui passe et surtout ne pas oublier de penser à ma mère pendant trop longtemps de suite. Elle fait sonnerie en plus.
LA BELLE-MERE : Ah bon ? C’est quoi cette histoire ?
SANDRA : Ma mère m’a demandé de ne jamais arrêter de penser à elle. Sinon si j’arrêtais de penser à elle plus de cinq minutes ça la ferait mourir pour de vrai.
Cendrillon, de son vrai prénom Sandra, est une très jeune fille orpheline de mère et un peu désorientée. Avec son père, Sandra part vivre chez sa future belle-mère dans une maison de verre peu accueillante. Traitée comme la bonne à tout faire et surnommée Cendrier, Sandra ne se défend pas et n’a qu’une obsession : ne jamais arrêter de penser à sa mère de peur que cette dernière ne « meure pour de vrai ».
La suite nous la connaissons : une bonne fée, un bal, une rencontre avec le prince. C’est en terrain connu que Joël Pommerat nous emmène avec ce conte qui a bercé notre enfance. Et pourtant chaque nouveau tableau est une surprise qui nous enchante. Nous sommes frappés par la force des émotions mises en scène, par l’intensité du récit, par le traitement extrêmement moderne des thèmes abordés en parallèle de la trame de l’histoire : le deuil, la famille recomposée, l’émancipation des femmes, les diktats de la mode, les conflits de génération, le droit au bonheur…
« Comme auteur, avant de m’ouvrir et de m’interroger sur la société entière, j’ai eu besoin d’observer cette petite structure sociale qu’est la famille. » Joël Pommerat.
Cette Cendrillon nouvelle génération a un goût d’enfance, un langage fleuri et une attitude rock’n’roll. Elle séduira le prince en étant elle-même, après une période de résignation et d’acceptation de sa triste condition. Forte de sa nouvelle rage de vivre, elle l’aidera même à entamer lui-même sa phase de deuil et à commencer sa vie d’adulte.
« Le travail de deuil parait articulé chez Sandra-Cendrier-Cendrillon avec le travail des mots sur les maux, lui permettant de trouver son identité avec son émancipation. » Frédéric Perez, du blog Spectatif.
Tous les personnages du conte sont là : Cendrillon, la marâtre, les méchantes sœurs, la fée, le beau-père, le roi, le prince. L’accent un peu rude des acteurs belges et leur accentuation des consonnes renforcent la rugosité des échanges entre les personnages. Le jeu des acteurs est excellent.
Un grand bravo également aux techniciens qui effectuent des prouesses sur le plateau, changeant les décors en un temps record et dans le noir complet. La magie opère, nous sommes au cœur de ce récit fantastique, entièrement happés par l’histoire comme nous pouvions l’être lorsque nous étions enfants.
« A travers des décors projetés sur les murs à grand renfort d’illusions d’optiques et d’une musique jazzy, dans une ambiance toujours très sombre, Pommerat nous entraîne dans le flou artistique brumeux mais jamais confus de notre conscience de la vie, du rêve et de la réalité, où les contours ne sont jamais parfaitement définis. » Suzanne Ângelo du blog Mordue de Théâtre.
Nous avons effectué un merveilleux voyage au pays de l’imaginaire accompagné de cette Cendrillon moderne aux multiples facettes. Un vrai bijou théâtral !
Créé en 2011, Cendrillon est un spectacle de Joël Pommerat produit et porté par le Théâtre National Wallonie-Bruxelles. Le spectacle se joue au Théâtre de la Porte Saint-Martin jusqu’au 6 août, pour réserver rendez-vous ici !
Acteurs : Alfredo CANAVATE, Noémie CARCAUD, Marcella CARRARA, Caroline DONNELLY, Catherine MESTOUSSIS, Déborah ROUACH, Nicolas NORE
Mise en scène : Joël POMMERAT
