C’est un comédien incontournable. Un pilier de la scène théâtrale française. S’il s’est tenu éloigné des planches depuis quelques mois, c’est à cause d’un méchant accident de la circulation. Didier Sandre profite de cette pause forcée pour faire le point sur un parcours de plusieurs décennies.
A cause de votre accident, vous aviez dû mettre fin brusquement aux représentations de Collaboration. On sait maintenant que la pièce reprendra dès l’automne 2012…
Deux jours après avoir appris qu’on serait malheureusement obligé d’interrompre le spectacle, Jean-Claude Camus m’a proposé de reprendre la pièce en tournée à l’automne 2012 puis en janvier 2013 au Théâtre de la Madeleine. Cette marque de confiance dans le spectacle, cette amitié, la solidarité de mes camarades de plateau m’ont beaucoup aidé. Dans la désolation, cela a redessiné un peu l’horizon.
Après Collaboration, je devais rejoindre Alain Françon à Nanterre pour Oncle Vania, j’ai dû y renoncer. Indépendamment des suites de l’accident, je me sentais incapable d’intégrer une autre équipe, d’aimer un autre auteur, un autre rôle, alors que Collaboration n’avait pas pu aller à son terme. Ce spectacle a connu beaucoup de soubresauts: j’ai commencé à répéter avec Michel Bouquet, qui a quitté le projet, puis nous avons eu des problèmes avec les droits sur la musique de Richard Strauss. C’est tout de même difficile de jouer un spectacle sur Strauss sans une seule note de sa musique! Les anges noirs se sont éloignés, à l’automne nous aurons la musique de Strauss, et la distribution de la création.
Aujourd’hui, les suites de votre accident vous permettent tout de même de courir la France de concert en concert…
J’aime être “récitant” dans des œuvres musicales, m’agréger à des musiciens, être un instrument dans l’orchestre, mais le théâtre m’accapare beaucoup. Là, bien sûr, j’ai profité de cette disponibilité inattendue pour répondre à ces propositions de concerts. Ma participation est possible. Je ne bouge pas, je regarde le chef ou le pianiste. C’est moins physique qu’un rôle.
Même diminué physiquement, vous ne quittez pas la scène. Comment est-ce que le goût du théâtre vous est venu?
Etait-ce une vocation de jeunesse?
Je ne parlerai pas de vocation, c’est un terme réservé à des choses plus… plus sérieuses que le métier d’acteur. C’est un métier qu’on doit faire éminemment sérieusement bien sûr, mais dans un monde d’aujourd’hui, si tourmenté, il faut relativiser. Je ne dis pas cela de façon faussement modeste, être acteur est pour moi quelque chose d’essentiel, mais il faut rester à sa place: il y a des enjeux bien plus graves dans la vie. Mes séjours récents dans les hôpitaux m’ont rappelé cela avec une évidence indiscutable.
“La seule chose sur laquelle il ne faut jamais plier,
c'est la sincérité”.
Qu’est-ce qui vous attirait dans le théâtre alors?
Comme pour beaucoup d’acteurs, le choix de devenir comédien était une façon de réunir des désirs qui n’auraient jamais pu s’épanouir seuls. J’adorais la musique, je voulais être danseur, j’aimais la littérature, la poésie, mais je n’étais ni bon musicien, ni bon danseur et je me sentais incapable d’écrire. Être acteur m’a permis d’être au carrefour de ces disciplines, de réunir mes goûts et mes insuffisances et de les concrétiser dans un travail. J’ai eu l’impression que ce serait peut-être ma juste place.
Ce n’est pas si simple de trouver sa place. Beaucoup de gens, même des artistes, passent leur vie sans y parvenir. Qu’est-ce qui vous a mené dans cette direction?
Je vivais dans un milieu familial assez sévère, protestant et religieux. Ma famille était modeste et la seule culture à laquelle nous avions accès était ce qui se passait au temple. Pas de télé, pas de cinéma, pas de théâtre. Mais des livres, de la musique, la radio. Très tôt, je me suis senti un peu à l’étroit dans ce milieu austère, malgré tout l’amour que j’avais pour ma famille. Quand j’ai compris que le théâtre m’offrirait un espace élargi, je suis parti. J’avais 17 ans. J’ai travaillé pour payer mes cours.
Ça a dû être une décision très difficile à prendre? D’autant plus que le métier de comédien est très incertain…
Oui, ça a été violent. Même quand on agit avec une grande détermination, c’est très dur d’aller contre l’avis de ses parents. C’est lourd à porter. Je me suis longtemps senti coupable de ça. D’ailleurs, pendant mes premières années de pratique du théâtre, je passais pour quelqu’un d’un peu caractériel, inquiet, d’une exigence déplacée. Tout ça était très chargé, trop lourd, trop tendu.
A quoi ressemblaient ces premières années de théâtre?
Il y a eu cette expérience dans la troupe de Catherine Dasté à Sartrouville où j’ai passé quatre ans, au début des années 1970. Ça se passait très bien. On cherchait la place de l’acteur dans la société, on allait dans les lycées, on travaillait avec les mômes, on faisait de la musique, des marionnettes. Une façon de se sentir utile au monde et donc de se déculpabiliser d’un choix de vie souvent jugé narcissique. On travaillait beaucoup, mais ça allégeait un peu la charge pour moi. Ça a été une formation très riche. Mais après quatre ans, je suis arrivé au bout de ce que je pouvais apprendre là. J’ai rêvé à nouveau de grands textes, de grands rôles dans de grands théâtres avec de grands metteurs en scène.
Comment avez-vous pris ce virage?
J’ai eu beaucoup de chance. J’ai rencontré un metteur en scène de ces années-là. Il montait Lulu de Wedekind et m’a proposé le rôle d’Alwa. Bernard Sobel m’a vu dans cette pièce et m’a proposé de jouer Dom Juan la saison d’après à Gennevilliers. J’avais 26 ans, et c’était la première fois, depuis l’époque de Molière, que Dom Juan serait joué par un jeune acteur. Ce rôle était habituellement tenu par des acteurs matures, Jouvet ou Vilar, Piccoli… pas par des jeunes premiers. Cette proposition m’a semblé tellement incongrue que j’ai répondu à Sobel que ça ne m’intéressait pas, que je ne me sentais pas du tout fait pour jouer ça. Plus je lui disais que c’était une erreur de casting, plus il insistait. Il a fini par me convaincre et je n’ai plus cessé de travailler ensuite.