Récompensée d’un Molière dès sa deuxième apparition, Sara Giraudeau aura eu besoin d’à peine plus de cinq ans pour faire oublier son patronyme. En cinq pièces seulement, la fille d’Anny Duperey et de Bernard Giraudeau a su imposer un talent très singulier.
Avec les parents que vous avez, on se dit que c’est assez naturel de vous retrouver au théâtre. Les choses ont-elles été aussi évidentes qu’elles en ont l’air ?
Non, loin de là. Ça n’avait rien d’évident. J’ai mis assez longtemps avant de me dire que ça pourrait être une possibilité. Inconsciemment, je voulais certainement tenter de ne pas imiter mes parents et essayer de trouver ma propre voie. J’ai voulu faire beaucoup d’autres choses très différentes. Pendant longtemps, j’ai voulu être styliste. Jusqu’à ce que, vers seize ans, le théâtre s’impose à moi comme une évidence.
Seize ans c’est encore jeune pour choisir sa voie…
Bien sûr, c’est jeune. Mais avec les parents que j’ai, avec tout le temps que j’ai passé dans les théâtres étant enfant, j’aurais pu avoir cette certitude bien plus tôt. Certains ont la vocation très jeune parce qu’ils ont été éblouis ou fascinés. Moi, je n’ai pas connu ça: le théâtre faisait partie de ma vie de façon très simple. C’était un cocon que j’aimais beaucoup. Quand j’allais voir mes parents, j’adorais les odeurs des théâtres. J’y suis très sensible et j’en garde des souvenirs très forts. Mais tout ça était tellement familier que je n’y pensais pas vraiment.
“Le théâtre m'était tellement familier que je n'y pensais pas vraiment”.
De ce fait, la vie de comédienne aurait aussi bien pu perdre toute sa magie à vos yeux…
Ça n’a jamais été un objet de fascination ou de fantasme. J’ai toujours vu le versant très quotidien du travail d’acteur: j’avais l’habitude que mes parents s’en aillent le soir, soient absents pendant quelque temps; je les voyais apprendre leur texte, lire pendant des heures. Tout ça me semblait naturel. J’étais très proche du jeu. Et c’était quand même magnifique de pouvoir aller les voir. A certaines époques, j’y allais presque tous les soirs. Je pouvais choisir de rester dans la salle, de me glisser dans les coulisses, de m’installer dans les loges: j’avais une vision très complète et très intime de ce qu’était le théâtre. C’est une chance incroyable. Mais peut-être est-ce que j’étais tellement immergée dans ce monde que le métier de comédien ne pouvait pas m’apparaître comme un rêve enchanté. Ça n’est venu qu’après, quand j’ai commencé à comprendre que la vie réelle ne me convenait pas vraiment…
Le théâtre a été une façon d’échapper à la vie réelle ?
La vie réelle d’un enfant et d’un adolescent, c’est l’école. Et j’y ai été incroyablement malheureuse. C’est l’âge où on devrait laisser le plus de liberté, et l’école ne propose que des contraintes. Un enfant a besoin de temps pour s’évader, pour apprendre ce qu’il aime, pour s’épanouir. On devrait laisser beaucoup plus de champ d’invention et de création à un enfant pour qu’il puisse se découvrir. Mais à l’école, on est cadré, cloîtré dans un moule que je n’ai pas supporté.
Après mes dix ans, j’ai très mal vécu ma scolarité. Quitter toute forme d’école, tout ce qui ressemblait à une salle de classe, a été une échappatoire indispensable pour moi. J’ai donc pris des cours de théâtre comme une sorte de thérapie. Et ça m’est apparu comme un espace de liberté absolue.
A quoi ressemblait ce monde de liberté qui s’offrait à vous ?
Il y avait une forme de retour à l’enfance très agréable. Et la découverte du jeu, qui était une sensation très forte. Je devais être secrètement attirée par ce métier, quelque chose qui rendait ce moment inévitable. C’est très vite devenu une évidence. A tel point que je ne me suis jamais vraiment posé de questions sur les difficultés de ce métier. La découverte était tellement éblouissante que je n’ai pas vécu ces angoisses. Je n’ai pas eu le temps: après un an au cours Périmony, j’ai été engagée pour Les Monologues du vagin.
Un an d’apprentissage seulement, avant d’être propulsée sur scène, n’est-ce pas un peu rapide ?
C’était très tôt, oui. Mais Les Monologues étaient parfaits pour ça: ce n’est pas une vraie pièce. Le dispositif était proche de la lecture, et même si on connaissait les textes, on les avait à la main. On était face public et on s’adressait à lui: ça m’a été très utile pour comprendre que c’était un véritable partenaire. Et pour le désacraliser un peu aussi: le public ne vient pas pour nous juger, mais d’abord pour nous écouter, pour se laisser porter. Sa présence est positive. Et puis, on n’avait pas besoin de rentrer dans la peau d’un personnage, il n’y avait pas de vraie composition, on pouvait rester soi-même.
Voilà, il y avait plein de petites choses rassurantes pour une débutante. Je ne me sentais pas au pied d’une montagne infranchissable, j’avais un texte magnifique et je pouvais me confronter au public sans mourir de trac. En plus, j’étais entre Micheline Dax et Marie-Paule Belle: comme premières partenaires, c’est pas mal ! Vraiment, je n’aurais pas pu souhaiter meilleure première expérience.