Sa beauté est d’une telle pureté qu’elle en devient trompeuse : elle donne l’impression que Mélanie Thierry est restée une éternelle femme-enfant. Mais l’adolescente qui mettait le monde de la mode en émoi est désormais loin. A trente ans, Mélanie Thierry est une comédienne déjà expérimentée que le théâtre attire de plus en plus.
Moi aussi. Je suis ravie de parler de théâtre !
A l’époque, je sortais d’une longue période de promo où on m’avait beaucoup vue. Quand ça se calme un peu et que je n’ai rien de particulier à dire, j’aime bien en profiter pour me faire discrète. J’avais été assez présente autour de la sortie de La Princesse de Montpensier quelques mois à peine après avoir été sélectionnée au Festival de Cannes. Après des périodes comme celle-ci, j’ai besoin de disparaître…
Oui, je pense… Mais ce n’est pas pour autant que j’ai énormément travaillé cette année ! Je n’ai tourné que deux films, dont celui d’André Téchiné, Impardonnables. C’était un petit rôle, mais très joli. Et quel plaisir de travailler avec un cinéaste comme lui. Un peu comme Bertrand Tavernier, il est passionné, il est totalement habité par son art. Ce sont de véritables auteurs avec un univers très personnel. Ils ont fait des dizaines de films mais ils ne sont jamais blasés, ils ont une énergie folle et un amour toujours aussi fort pour les acteurs. Et eux aussi sont toujours tiraillés par le doute…
A l’époque des répétitions de Baby Doll, en 2009 au Théâtre de l’Atelier, vous nous aviez confié que vous aviez encore un peu de mal à vous considérer comme une comédienne. Est-ce que ça vous est désormais plus facile ?
En fait, je crois que cette impression n’a pas grand-chose à voir avec l’expérience. C’est plutôt lié à un état, à une humeur. Il y a des moments où je me sens profondément comédienne et des moments où je me fais moins confiance. J’ai ce doute en moi, je ne pense pas que je m’en débarrasserai un jour…
Vous doutez toujours de votre légitimité à être là ?
Pendant longtemps, je me suis un peu excusée d’être là. Mais jouer la comédie, c’est ma vie: c’est ce qui occupe toutes mes journées. J’ai parfois tendance à m’auto-dénigrer, mais bien sûr que je suis comédienne. Aujourd’hui, pour être honnête, je n’ai plus de doute là-dessus. Il s’est passé beaucoup de choses ces dernières années, j’ai eu la chance de jouer des rôles qui m’ont fait progresser. J’ai fait de superbes rencontres, aussi bien au cinéma qu’au théâtre. Tout ça m’a confortée dans l’idée que je suis comédienne. Mais ça ne m’empêche pas, par instants, de me demander ce qu’est véritablement ce métier… La plupart du temps, c’est quand je ne travaille pas que je m’interroge le plus. Après quelques semaines, je commence à être persuadée que je suis mauvaise. Je vis constamment dans le doute. Pour moi, être comédienne est quelque chose de fragile.
“Je vis constamment dans le doute.
Pour moi, être comédienne est quelque chose de fragile”.
Est-ce que lorsque vous travaillez, les choses vous semblent plus évidentes ?
Dans le travail, le doute n’est pas de la même nature. Evidemment, la veille d’un tournage, on se demande si on va être digne de la confiance du metteur en scène, si on ne va pas le décevoir, si on va parvenir à trouver le personnage qu’il désire. Mais dès qu’on entame le travail, le doute porte sur des questions beaucoup plus concrètes, sur la construction d’un personnage. Ce qui change tout, c’est qu’on est obligé d’avancer. Ça n’exclut pas une certaine incertitude, ni une certaine frustration quand, à la fin d’une journée, on a l’impression de ne pas être allé aussi loin qu’on l’aurait voulu. J’essaie toujours d’aller au plus loin et au plus juste de ce qui me semble le plus fort émotionnellement pour chaque scène. Mais je suis rarement très satisfaite de ce que je fais…
A l’époque de Baby Doll, vos doutes semblaient d’un autre registre: vous donniez l’impression de vous demander si vous étiez bien à votre place sur une scène de théâtre…
Oui, mais le contexte y était pour beaucoup. On était au tout début des répétitions, je n’avais pas fait beaucoup de théâtre, je m’apprêtais à jouer avec Xavier Gallais qui est un authentique acteur de théâtre. Sa passion du théâtre m’impressionnait beaucoup: il ne vit que pour ça! J’étais très intimidée par cette aventure qui débutait. J’avais un peu peur de me faire écrabouiller par sa présence, par son charisme et sa technique… En fait, il a été un partenaire merveilleux. J’ai adoré jouer avec lui. Il m’élevait pour que chaque jour soit différent et meilleur.
En tout, avec la tournée, on a dû jouer Baby Doll plus de 200 fois! ça aussi, ça m’a beaucoup appris. Je me suis endurcie. Le fait de changer de salles, d’être sur les routes, de devoir s’adapter aux différents publics, tout ça est très exigeant. Les publics sont très différents selon les villes et selon les configurations des salles: on sent très vite ce qu’ils sont venus chercher ou ce qu’ils attendent en venant au théâtre. Evidemment, ça influence notre façon de jouer. On a eu des soirs formidables et d’autres beaucoup plus poussifs. C’était vraiment une expérience géniale.