Homme de culture et de convictions, Julien Poncet est le directeur de la « Comédie Odéon » à Lyon. Nous l’avons rencontré pour mieux connaitre ce théâtre, sa programmation et les enjeux de la création de spectacles en régions.
« Nous ne sommes pas des militants du théâtre privé mais des militants des bons spectacles et nous avons l’ambition de jouer devant des salles pleines sans être excluant. C’est une philosophie et un état d’esprit. »
Pouvez-vous nous parler de votre parcours ?
J’ai un parcours en plusieurs étapes. Il a commencé un peu « accidentellement » à l’occasion d’un spectacle que j’avais monté au lycée avec des copains, pour s’amuser. Des professionnels sont venus le voir et le spectacle s’est mis à tourner. A mes 28 ans, j’ai commencé à me poser des questions sur mon réel désir de faire du théâtre. Puis je me suis réorienté vers le milieu associatif où j’ai travaillé pendant longtemps dans des associations militantes pour le droit des personnes, pour finalement prendre la direction de l’ONG « Forum Réfugiés » que j’ai dirigée pendant plusieurs années. Je m’étais cependant toujours dit que je reviendrais éventuellement au théâtre.
© Paul Bourdel
Je suis originaire de Lyon et à l’époque, l’offre en matière de théâtres privés était assez restreinte. C’est pourquoi, quand j’ai commencé à vouloir porter des projets dans ce domaine, je me suis mis en tête de créer un nouveau théâtre.
J’ai pu le faire fin 2015 en récupérant le bail du Théâtre Comédie Odéon, un lieu patrimonial et culturel historique à Lyon qui existe depuis 1907.
Exploité pendant des années comme un cinéma, on dit qu’il serait même l’un des premiers de l’histoire avec la dénomination de « lieu dédié à la projection permanente de films ». Fermé au début des années 2000, il est passé des mains de la ville au fonds souverain d’Abu Dhabi puis, il a rouvert avec une première équipe en 2013. Enfin, j’ai récupéré le bail et nous avons monté le projet du théâtre tel qu’il est aujourd’hui.
La programmation du Théâtre Comédie Odéon est de plus en plus éclectique, quelle direction voulez-vous lui donner ?
Pour s’implanter sur son territoire, un théâtre privé en région doit tout d’abord faire fonctionner le réseau des artistes qui habitent ce territoire, y travaillent et s’y produisent. C’est donc la première chose que nous avons faite.
© Genaro Studio
Une autre vocation de notre théâtre est d’accueillir des spectacles que les lyonnais n’auraient pas pu voir autrement. Nous avons voulu faire un mélange entre la création issue du territoire et des spectacles venant de l’ensemble de la France. Nous avons ainsi défini une programmation selon deux types de projets.
A 19h du mardi au samedi, nous proposons des spectacles d’écriture contemporaine, que nous produisons généralement. En ce moment nous avons monté « Intra-Muros » d’Alexis Michalik avec des comédiens lyonnais et mon propre spectacle « Tout ça pour l’amour ! » qui sera à l’affiche de la Comédie Odéon début Janvier (puis repris au théâtre du Petit-Montparnasse à la fin du mois).
Sur ce créneau, nous souhaitons proposer des auteurs vivants qui essayent de passer à côté de la doxa de la comédie obligatoire. C’est aussi pour cela que nous avons produit et programmé le spectacle « Les naufragés » que l’on a joué au Théâtre des Bouffes du Nord puis dans le réseau des scènes nationales.
Intra Muros d’Alexis Michalik © Paul Bourdel
J’ai également beaucoup d’intérêt pour les spectacles de divertissement et de rire, qui peuvent être des spectacles profonds. C’est pourquoi nous proposons sur le créneau de 21h des spectacles d’humour et des comédies. Je pensais que les spectateurs viendraient d’abord pour la comédie, et que nous les ferions glisser vers l’horaire de 19h pour voir des choses différentes. Finalement, le public s’est réparti assez équitablement sur les deux horaires.
Nous avons réussi à gagner leur confiance en misant sur la qualité de nos spectacles.
Comment réagissent les spectateurs face à cette évolution ?
Aujourd’hui, les spectateurs ont confiance en notre programmation et adhèrent aux suggestions que nous leur proposons.
Comme notre théâtre est implanté sur le territoire, nous sommes aussi partenaires de nombreux évènements tels que le festival « Lyon BD », le festival « Lumières » ou encore le festival de musique française « French Connexion ».
Les dimanches nous avons une programmation variée. En ce moment nous accueillons un cycle de cabarets loufoques contemporains avec le « Theatrum Mundi ».
Nous sommes perçus comme un lieu culturel ouvert, libre et indépendant. Notre projet est multiple et nous essayons de mixer la rencontre d’artistes locaux avec celle d’artistes de passage.
Quels sont les défis auxquels vous faites face, propres au territoire de Lyon ?
Nous constatons que notre univers théâtral est un peu méconnu par le public. L’intégration dans la programmation de spectacles qui détonnent de l’univers de la comédie de boulevard est assez récente dans le privé.
Nous essayons de tout mettre en œuvre pour être ouverts sur la ville, rendre nos spectacles accessibles et faire un théâtre vivant qui véhicule un certain nombre d’idées. Nous menons de nombreuses actions culturelles, travaillons avec des scolaires, organisons des cours de théâtre et le mercredi nous proposons des places à partir de 5€.
La Comédie Odéon est devenue un acteur culturel majeur de l’agglomération lyonnaise et nous aimerions que la reconnaissance de ce statut grandisse à notre égard.
Un autre enjeu est aussi d’aider la création qui émane du territoire à être diffusée et à tourner. Il est difficile pour un spectacle créé en région de se vendre car les programmateurs vont principalement à Paris. Nous voulons, à travers notre théâtre, donner de la visibilité aux créations locales et faciliter leur diffusion.
… Et les enfants seront bien gardés © Paul Bourdel
Nous sommes de plus en plus sollicités pour produire des spectacles et nous avons entamés des partenariats européens, notamment avec le théâtre public de Bruxelles dans lequel je crée des spectacles. Nous souhaitons que les créations circulent et accueillons donc aussi leurs spectacles. En mars 2022, nous organiserons une « semaine Belge » avec à l’affiche des créations du Théâtre Le Public de Bruxelles comme La promesse de l’aube ou Tuyauterie.
Comment vivez-vous la reprise des représentations après les crises sanitaires ?
La fréquentation de notre théâtre reste plutôt bonne par rapport à l’ensemble de la région, je suis très heureux de ce qui se passe en ce moment. Il me semble que c’est lié au fait que les gens savent qu’ils vont vivre des émotions chez nous.
Je crois aussi que nous avons véritablement réussi à maintenir le lien pendant toute la période de confinement. Nous avons même créé un savon « Théâtre Comédie Odéon » que nous avons vendu accompagné du slogan « Redevenons essentiel ». Je pense que le maintien de ce contact joue beaucoup aujourd’hui.
Notre public vient de toute la métropole Lyonnaise, de Mâcon, Grenoble, Saint-Etienne ou Villefranche sur Saône. Nous avons la chance d’avoir un lieu avec une véritable atmosphère, un bar agréable, un espace d’exposition. Entrer dans notre théâtre est aussi facile que de rentrer dans un bar. Les gens s’y sentent chez eux.
Nous veillons à ce que les spectacles que nous proposons ne soient pas trop longs, qu’ils soient rythmés, accessibles avec de vraies créations lumières. Nous avons une programmation très chargée mais veillons à toujours proposer des spectacles de grande qualité.
Pouvez-vous nous parler des spectacles à l’affiche de la Comédie Odéon ?
Actuellement, « Intra-Muros » joue à 19h. Nous venons d’achever un mois de théâtre de l’absurde avec les Chiche Capon, Fred Blin et Patrick de Valette.
Nous accueillerons prochainement Christophe Alévêque pour deux soirées, puis nous présenterons « … Et les enfants seront bien gardés », une comédie contemporaine sur la famille recomposée, écrite par l’autrice Lyonnaise Ségolène Stock.
Tout ça pour l’amour © Julien Poncet
Enfin, mon spectacle « Tout ça pour l’amour ! » sera à l’affiche de la Comédie Odéon début janvier. Le spectacle se jouera ensuite à Paris au Théâtre du Petit Montparnasse. C’est un enjeu important pour nous, pour montrer que nous sommes capables de créer des spectacles de qualité programmés dans les salles parisiennes et que nous avons notre place dans un réseau national.
Pour conclure…
« J’ai le sentiment que dans cette période trouble, toute la famille du Théâtre privé doit être attentive à se rassembler dans la bienveillance pour organiser la bonne circulation des spectacles, la bonne qualité de ce qu’on produit et une bonne diffusion. » Julien Poncet.