Avec Face au paradis, elle vient de signer sa première mise en scène. Un face-à-face intense et oppressant entre Eric Cantona et Loránt Deustch. Comédienne, elle a érigé l’exigence en art de vivre. Rachida Brakni milite pour un théâtre populaire et intelligent. Rencontre avec une citoyenne précieuse.
Comment est née votre passion du théâtre?
Jeune, je rêvais d’être… avocate. Mes premiers cours de théâtre, je les ai pris pour ça. Pour gagner un peu d’aisance pour mes futures plaidoiries. Mon idole, c’était Robert Badinter. A quatorze ans, je lisais tout Badinter. Quand je voyais son discours pour l’abolition de la peine de mort, j’avais envie de pleurer. Je voulais être Madame Badinter! Vraiment. Je lisais ses livres, et comme il parle toujours d’Elisabeth, je me disais qu’elle avait trop de chance (rires)… C’est donc pour ça que j’ai pris des cours. Et évidemment, j’ai découvert le théâtre par Shakespeare et Molière. Là, j’ai été étonnée de voir à quel point rien n’avait changé. Ce sont des textes universels et intemporels. Alors je me suis dit que, finalement, c’était peut-être une bonne façon de parler du monde. Actrice, c’est ça: parler du monde.
Je ne voulais pas être comédienne pour le côté divertissement, je voulais être un témoin de l’époque. J’ai choisi ce métier plutôt qu’avocate, parce que je savais que j’y laisserais moins de plumes. Je voulais faire du pénal et je pense que j’aurais probablement fini alcoolique! Il faut être solide. Il faut savoir compartimenter les choses. Ne pas être dans l’empathie. Je ne crois pas que j’aurais réussi à faire la différence entre le professionnel et l’humain. Finalement, j’ai eu de la chance de découvrir le théâtre!...
Avant quatorze ans donc, vous n’aviez aucune envie de théâtre?
C’est même venu plus tard. La révélation, je l’ai eue à 17 ans, au “club théâtre” du lycée. Là aussi, j’ai eu de la chance. La compagnie du lycée était géniale. C’était un prof d’histoire et de théâtre qui était, en plus, metteur en scène. Et quand je repense aux spectacles qu’on a faits, je me rends compte qu’en plus, c’était un bon! C’était de très beaux spectacles. Dans la compagnie, il y avait des acteurs entre 8 et 80 ans! C’était un vrai truc! Les représentations étaient payantes. A partir de 17 ans, je jouais tous les week-ends. Tous les vendredis, samedis, dimanches j’étais sur scène. On a commencé par Richard III, où je jouais Lady Anne. C’est là que je me suis rendu compte que j’aimais vraiment ça. Mais je n’avais pas envie de galérer. C’est étrange, mais j’ai tout de suite senti qu’il y avait une précarité dans ce métier et que je n’avais pas envie de ça.
Pourtant quand on a 17 ans et qu’on veut être actrice, on s’imagine plus en star qu’en quête de travail, non?
Pas moi. C’est bizarre mais sans le savoir, je devais avoir une sorte de prescience des heures, des Assedic, des galères potentielles… Du coup j’avais cette angoisse, je ne voulais pas me lancer dans l’inconnu. Je voulais me laisser du temps. Pour moi, les choses étaient donc claires: je n’arrêtais mes études que si j’avais le Conservatoire. Si je ne l’avais pas eu, je n’aurais pas continué à faire ce métier. J’aurais trouvé autre chose. Je ne suis pas d’une nature à aller courir les castings, je ne suis pas d’une nature à aller solliciter les gens ou à leur écrire. Je ne l’ai jamais fait! Je n’ai jamais dit à un metteur en scène que j’aimais ce qu’il faisait et que j’aimerais travailler avec lui.
Dans ma tête, le Conservatoire était plus sûr: il m’offrait une visibilité. Des professionnels venaient sans que je sois obligée d’aller les chercher. J’admire ceux qui ont le courage de se battre pour se vendre mais moi, je ne sais pas le faire.