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Interview de Michel BOUQUET

Interview

Dernier des monstres sacrés, Michel Bouquet se prépare à retrouver l’un de ses plus grands rôles dans Le Roi se meurt de Ionesco en septembre. A 85 ans, il lui suffit de deviser à propos du théâtre pour que son œil plein de malice s’allume, témoignant de sa passion toujours aussi vive pour la scène.

Le Roi se meurt est l’une de vos pièces fétiches. Vous l’avez déjà jouée plusieurs fois depuis 1994. Pourquoi la reprendre à nouveau aujourd’hui ?
J’ai toujours eu envie de reprendre les grands auteurs, parce que je n’en vois jamais la fin. Je m’en suis rendu compte en reprenant L’Avare ou Le Malade imaginaire plusieurs fois, et il y a bien longtemps, en reprenant Pauvre Bitos ou L’Alouette de Jean Anouilh que j’ai jouées près de 800 fois sur plusieurs années. C’était des triomphes extraordinaires. Toutes ces pièces d’Anouilh, je les ai jouées pendant vingt ans. Les pièces de Pinter, je les ai jouées pendant très longtemps aussi. Pour chacune de ces grandes pièces, après quelques années, je me disais que ce qu’on en avait fait était certes très intéressant, mais qu’il y avait en elles des choses encore plus passionnantes que je n’avais pas encore décelées.
Dans Le Roi se meurt, il y a une part de comédie qu’on a un peu tendance à ne pas servir suffisamment, au profit du tragique. On est entraîné dans la situation que crée Ionesco: cet homme devant sa propre mort qui prend petit à petit possession de lui et le dévore. Mais à la réflexion, en retravaillant, je me suis dit que cette tragédie évidente pouvait être encore plus forte grâce à la comédie. Cette comédie est là d’emblée dans le texte, parmi les gens qui assistent à cette cérémonie de mort. Ils n’ont qu’une envie, c’est que ça se termine, qu’ils n’en entendent plus parler. Ils n’ont qu’une hâte, c’est de voir ce tyran disparaître le plus vite possible. Cet aspect farcesque et comique accompagne la tragédie. D’ailleurs Ionesco n’a jamais dit si Le Roi se meurt était une comédie ou une tragédie. Il laisse une liberté d’interprétation formidable, qui mérite qu’on explore son chef-d’œuvre dans tous les sens.

Par rapport aux précédentes versions que vous en aviez données en 1994 et en 2004, cette nouvelle mise en scène devrait donc aller plus nettement du côté de la farce ?
On part de quelque chose qui était drôle parfois, mais qui était encore énormément marqué par une forme de romantisme, par un afflux de sentiments. On en faisait un homme submergé par les critiques qui s’abattaient sur lui, un homme qui s’abandonnait à la mort en dressant une sorte de fiche signalétique de toutes les péripéties par lesquelles l’agonie passe avant de frapper. Cet aspect-là va rester, bien sûr, mais va s’enrichir, je l’espère, de quelque chose de plus cruel, de moins sentimental, qui est le propre du génie de Ionesco. La grande qualité d’auteur de Ionesco, c’est certainement sa lucidité. Il voit tout, d’une façon tellement réelle, tellement cruelle, que l’être humain est agressé par quelque chose contre quoi il ne peut rien. Il est sans défense face à ce qui lui arrive: c’est ce trajet vers la lucidité totale, absolue, sans réplique, qui rend cette pièce unique. Jamais on n’a exploré à ce point la dévastation de la mort.

Dans cette pièce, cette dévastation est totale. Elle se communique aux autres protagonistes et au monde entier: tous les murs se lézardent,  tout s’effondre…
Oui. Mais cette déliquescence générale est aussi salvatrice. Le rôle se termine d’une façon très étrange. Il fait littéralement le vide, les gens autour de lui fuient les derniers instants de son agonie. Mais lui est très heureux de les voir partir. Il reste seul avec sa femme, qui l’entraîne vers une démission totale de sa fonction d’être humain. Il redevient presque un enfant qui part en fusée vers un autre monde. On ne peut trouver ça que très fascinant, très beau, très réconfortant. Cette agonie à laquelle on assiste est d’abord drolatique, elle devient extrêmement cruelle puis elle nous entraîne vers une forme de libération absolue. La mort, là, est une chose qui échappe au tragique. Au moment de partir, il a ces mots formidables: “L’Empire? A-t-on jamais connu un tel Empire? Deux soleils, deux lunes, deux voûtes célestes. Un éclair. Un autre soleil se lève. Un autre encore. Un troisième au firmament surgit, jaillit, se déploie”. Ce sont des mondes et des mondes et des mondes qu’il découvre et traverse avant de disparaître. C’est tout à fait lumineux. Ionesco semble dire que, ce monde étant aussi difficile qu’il l’est, il n’est pas possible que ça n’aille pas vers quelque chose d’heureux. Finalement.

Ce dépouillement progressif, parfois très violent, très dur, est une façon de se présenter presque vierge au seuil de la mort. Croyez-vous que ce soit nécessaire ?
Je n’en sais rien. Mais cet homme, qui a été un tyran terrible, se dépouille de ses fonctions politiques, il se dépouille de sa propre haine de lui-même et de ses rancoeurs pour les autres, et le vide face auquel il se trouve à la fin est une aspiration vers l’ailleurs. Pour Ionesco, à l’époque où il a écrit cette pièce, ce fut sans doute une écriture salvatrice, indispensable. Il traversait l’une des périodes les plus désastreuses de son existence: il était dans la situation de son personnage, extrêmement malade. Il a trouvé la force et la lucidité d’écrire ce texte formidable où l’on sent qu’il est arrivé tout au bout de la compréhension de son univers. Il est arrivé à se débarrasser de sa condition, cette chose à laquelle on tient tant sans jamais comprendre pourquoi…

 

 

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