« Infirmière des âmes, régisseuse des sentiments, diplomate, servante ou gouvernante, économe, magicienne, jardinière des corps, psychanalyste, quelque fois cuisinière ou docteur. » Voici comment Pascale Bordet, costumière de talent, se décrit sur son site. Nous avons eu la chance de la rencontrer dans son atelier de peinture, sous les toits de Paris au cœur du 1er arrondissement.
Vous avez habillé Francis Huster dans « Le joueur d’échecs » actuellement à l’affiche au Théâtre Rive gauche, quelles ont été les différentes étapes pour mettre au point son costume ?
Mon patron, c’est le texte. Je le découpe, je repère les scènes d’intérieur et d’extérieur, les changements rapides de costume à faire, les accessoires présents : un chapeau, un parapluie… Je me représente l’époque, la saison. Je m’illustre mentalement le texte.
Puis viennent les dessins et les croquis, et ensuite la peinture. J’accompagne mes aquarelles d’échantillons de tissus. A cette étape je dois déjà avoir en tête les responsabilités comptables qui sont les miennes en tant que costumière et qui vont orienter en partie mes choix.
Je présente ensuite mes aquarelles au metteur en scène, puis à l’acteur, avant de me lancer dans la réalisation du costume.
Il faut très bien connaître la personne qu’on habille pour lui trouver le bon costume. Mes réalisations sont toutes des créations personnelles, je ne copie pas des modèles existants.
Dans le joueur d’Echecs, Francis Huster porte un costume entièrement sur-mesure dont l’image m’est apparue rapidement à la lecture du texte. Il faut dire que nous avions eu avec Francis de longues conversations sur notre façon de percevoir Stephan Zweig, l’auteur.
Avez-vous une époque préférée ?
J’aime particulièrement les années 1910/1914, l’époque de Poiret. Ce sont pour moi quatre années particulièrement novatrices. C’est une période très inspirante, très créative.
La Régence et le début du XXème siècle sont également des périodes qui m’inspirent. Mais attention, je ne fais pas de reconstitution historique : je m’inspire, je cherche puis je crée de toutes pièces.
La préparation des costumes se fait-elle souvent dans la précipitation ?
Je ne suis jamais en retard dans mon travail, je m’y prends 6 mois en amont mais je livre les costumes à temps.
En effet, les acteurs ont besoin de répéter en costume pour s’y habituer et construire leur jeu avec eux. Ils doivent répéter les changements de costumes, s’approprier les accessoires et pour cela il leur faut 3 semaines à un mois.
Je suis donc prête avant tout le monde !
Vous êtes très proche de Francis Huster, de Michel Bouquet, avez-vous une préférence pour les costumes masculins ?
Pas du tout, j’aime autant habiller les hommes que les femmes. Pour moi tout le monde est sur le même plan et je ne fais de même pas de différence entre l’attention que je porte à habiller un figurant ou à habiller l’acteur principal. Tout le monde sera sur scène et chaque costume mérite une attention particulière.
Parmi toutes vos réalisations, avez-vous un costume fétiche ?
J’ai réalisé une robe de mariée 1910 entièrement à la main pour Le mariage de Barillon de George Feydeau au Théâtre du Palais Royal. C’est une pièce qui m’a demandé 6 mois de travail et pour laquelle j’ai mélangé trois robes de mariées : celle d’une vieille tante, une robe chinée aux puces et une robe neuve. Les matériaux de départ sont très fragiles et j’ai dû adapter le costume à la scène en le consolidant.
J’ai demandé au directeur du théâtre à ce que cette robe soit offerte à un musée et elle est actuellement exposée à la BNF.
Vous avez réalisé plusieurs livres autour de votre métier, est-ce votre façon de transmettre votre savoir-faire ?
Cela fait presque 10 ans que je fais des livres. Regardez mes livres : j’écris des livres pour ne pas parler : un dessin vaut des milliers de mots.
C’est en effet en partie une volonté de transmission, je suis militante et je défends l’art. Vous savez, je couds avec les mêmes outils qu’il y a un siècle alors faire un ourlet de 5 mètres me prend du temps. Je ne suis pas inscrite dans la logique qui veut que tout se fasse plus vite à notre époque. Je suis de ceux qui ont un savoir-faire et cela prend du temps : le temps de peindre, le temps de séchage, le temps de coudre…
Chacun de mes livres me prend également au moins 3 années, en parallèle de mon travail.
Un mot aux lecteurs : si vous cherchez mes livres, allez en librairie ! Il faut faire travailler les artisans qui se bougent, qui se battent, qui sont des héros !
Qu’est-ce qui a changé dans votre façon de percevoir votre métier de costumière, que vous exercez depuis plus de 30 ans ?
Nous sommes aujourd’hui à l’époque du jetable. Les spectacles restent moins longtemps qu’auparavant à l’affiche, il faut donc s’adapter et faire des costumes qui reviennent moins cher.
Pour moi qui défend le savoir-faire et l’artisanat c’est un problème. Mon métier n’est pas virtuel, rien ne se fait en un clic. L’artisanat prend du temps.
Pour finir, pourquoi ce choix de ne porter vous-même que du blanc ?
Je porte du blanc pour m’oublier et qu’on ne m’oublie pas. Dans l’obscurité, dans les coulisses, je suis là et on me repère facilement.
Pascale Bordet a étudié aux Beaux Arts et fait des études littéraires, puis elle a appris le métier de costumière en l’exerçant. Son travail lui a valu de nombreuses récompenses dont plusieurs Molières. Elle a été promue Chevalier des Arts et Lettres au Palais-Royal en janvier 2014.
Un grand merci à Pascale Bordet pour son accueil et le temps qu’elle nous a accordé.
Découvrez également son site www.pascalebordet.fr .