On y entend, à tour de rôle, les témoignages poignants mais aussi légers de femmes qui ont eu recours à l’IVG. Dans le rôle de la narratrice, fil rouge de cette pièce, Pascale Arbillot est formidable.
1. CE SPECTACLE EST D’UTILITÉ PUBLIQUE.
Partout dans le monde, le droit à l’IVG n’a jamais été aussi attaqué et remis en question. Aux États-Unis, en Hongrie, et même en France, de douloureux rappels prouvent la fragilité de ce droit, chèrement acquis : aux États-Unis, après la décision de la Cour suprême du 24 juin 2022, quatorze États ont interdit l’interruption volontaire de grossesse sur leur territoire, quand dix-sept ont renforcé le droit à l’avortement. En Hongrie, le gouvernement vient d’obliger les médecins à faire écouter aux femmes souhaitant avorter le cœur du fœtus, un projet de loi soutenu par l’extrême droite. Enfin, en France, si le nombre d’avortements a augmenté France en 2022, pour atteindre son plus haut niveau depuis 1990 – selon les chiffres de la Drees*, 234 300 interruptions volontaires de grossesse ont été enregistrées en France l’année dernière, soit 17.000 de plus qu'en 2021 –, les Françaises éprouvent de plus en plus de difficultés pour accéder à ce droit notamment à cause de la fermeture des centres IVG et des déserts médicaux. Dans « Interruption », sont abordées également la froideur et la dureté de certains médecins, hommes ou femmes, et la manière dont les femmes sont livrées à elles-mêmes dans ces moments difficiles et le peu d’accompagnement ou de compassion dont elles bénéficient de la part du corps médical, souvent, et de leurs proches, parfois.
2. CE SONT DE VRAIS TÉMOIGNAGES QUE L’ON ENTEND SUR SCÈNE.
La pièce est en effet l’adaptation d’un livre très personnel écrit par une avocate Sandra Vizzavona, spécialisée en droit du travail.Dans « Interruption, l'avortement par celles qui l'ont vécu », publié en 2021 aux éditions Stock, l’autrice raconte sa propre histoire, ses deux IVG – l’une très jeune et l’autre beaucoup plus tardive – et donne également la parole à des femmes, de tout âge et de toutes conditions sociales qui chacune à leur manière raconte cette expérience. La grande force du propos est de montrer la diversité des situations, douloureuses mais aussi plus légères, de toutes celles qui ont choisi l’IVG : la très jeune fille un peu perdue (la narratrice dont les parents ne reparleront jamais de « l’affaire »), la militante qui « assume » et ne veut surtout pas prendre un nom d’emprunt, la femme qui choisit à plusieurs reprises d’avorter et assume pleinement de n’avoir pas d’enfant, avec sourire et détermination. En filigrane, on perçoit la volonté de l’autrice de ne pas minimiser le choix d’avorter mais en aucun cas d’en faire un drame. Toutes les femmes qui témoignent ne regrettent en rien leur geste. Elles n’avaient tout simplement pas le choix de faire autrement. La pièce rappelle cette évidence trop souvent oubliée : l’IVG reste un droit à défendre.
3. LA LIBÉRATION DE LA PAROLE EST AU CŒUR DU DISPOSITIF SCÉNIQUE.
« C’est comme si on m’avait enlevé une dent (…) Une fois que c’était fait, c’était fait. » ; « Je me plains d’avoir mal au ventre après avoir avalé la pilule abortive, l’infirmière me répond : “Fallait y penser avant, ma petite” » ; Pascale Arbillot à fleur de peau incarne avec conviction la narratrice et romancière Sandra Vizzavona et introduit, au fil de la pièce, les autres femmes qui viennent une à une raconter leur histoire. Chacune avec son vocabulaire, son histoire familiale et amoureuse, son caractère... Célibataire, femme amoureuse, adolescente… Toutes les paroles valent la peine d’être entendues, et c’est le plus important. Cette parole est mise en valeur à travers de multiples procédés – vidéo, enregistrements sonores, propos rapportés mais aussi récits de comédiennes sur scène – qui permettent de nous plonger dans ces récits à la manière d’un grand journal intime au féminin, universel dans lequel chacune pourra se retrouver. Et sans jamais lasser ou « faire catalogue ». Les témoignages sont forts, les phrases chocs mais toujours sincères, sans filtre. Un moment de théâtre engagé et important.
* Direction de la recherche, des études, de l'évaluation et des statistiques.
« Interruption » avec Pascale Arbillot, Sanda Codreanu et Kenza Lagnaoui ; Texte Sandra Vizzanova. Adaptation : Pascale Arbillot, Hannah Levin Seiderman et Sandra Vizzanova ; mise en scène Hannah Levin Seiderman, jusqu’au 5 novembre, Théâtre Antoine (Paris 10e), du jeudi au samedi à 19 heures et le dimanche à 16 heures.