AU THEATRE HIER SOIR - LULU A VU-
Le meilleur de Grumberg, Du grand Hiegel Atteinte d’Alzheimer, « Votre Maman » se révèle ingérable à en croire les plaintes répétées du directeur de la maison médicalisée à chacune des nombreuses visites de son fils. Cela...
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AU THEATRE HIER SOIR - LULU A VU-
Le meilleur de Grumberg, Du grand Hiegel
Atteinte d’Alzheimer, « Votre Maman » se révèle ingérable à en croire les plaintes répétées du directeur de la maison médicalisée à chacune des nombreuses visites de son fils. Cela débute par un « détournement » de chaise roulante pourtant indispensable à un monsieur qui « lui, a toute sa tête mais plus ses jambes ». Amusée par cette note de fantaisie égayant sa routine, la vieille femme, « La seule à marcher encore sur ses deux fémurs », s’y est obstinément accrochée durant toute la journée en dépit des nombreuses tentatives du personnel soignant. A l’intervention du fils considérée comme dernier espoir par le directeur excédé, la récalcitrante, péremptoire, réplique avec l’autorité d’une logique imparable : « Les chaises sont à tout le monde, si je suis assise dessus, elle est à moi » Une extraction physique sans succès parachève cette première scène tragi-comique de la plus pure veine grumbérienne. J’arrête là afin de conserver tout leur sel aux tableaux qui suivront. Tels de véritables détonateurs d’hilarité, fusent les répliques percutantes au sceau de l’absurde ; S’enchainent les situations au rythme des visites et des dialogues de sourds entre le directeur et le fils, le fils et sa mère. La « banalité » des conversations révèlera cependant, comme une déchirure qui va s’élargissant, la faille jamais refermée dans la vie de la vieille dame. Imperceptiblement, se dessineront les évènements d’un passé tragique dont les circonstances n’ont cessé de hanter son existence. Devenues toujours plus lourdes à porter, elles finiront de provoquer sa tragique disparition au cours d’une impossible quête de retour au passé. D’irrationnelle, le dénouement fera soudain basculer la maladie sous le seul prisme de la douleur, « rationnelle ». Une ultime réplique dans la bouche du fils permettra alors au dramaturge, pudique et concis, d’atteindre à l’universel à partir du particulier. Catherine Hiegel retrouve un auteur qu’elle a déjà interprété en donnant la réplique à Pierre Arditi dans « Moi je ne Crois pas » encensé en son temps dans cette même chronique ( Lulu de Février 2012) Ce nouveau personnage semble avoir été créé pour elle. Fascinante tout au long de la soirée, drapée frileusement dans son vieux manteau beigeasse trop grand pour elle, chaussée de ses caoutchoucs dans la même couleur indéfinie, le cheveu long et triste, regard perdu ou accès de vivacité retrouvée. Autoritaire et méprisante, le ton rogue et le verbe assassin, violente quand elle sent son « territoire menacé » (en l’occurrence ses toilettes privées) se défendant de l’envahisseur à coups de parapluie : elle provoque l’antipathie, au mieux le rire moqueur. Ses accès de tendresse non feinte nous émeuvent soudain, Quand petit à petit elle lâche quelques bribes du passé, tour à tour désabusée, méfiante ou soupçonneuse, ses absurdités deviennent bouleversantes. Harcelé par le directeur, fils dévoué, protecteur et aimant, Bruno Putzulu campe parfaitement ce personnage à la patience durement éprouvée, pris en étau entre sa mère et le directeur, en permanence agressé, subissant les récriminations de tout bord, ne sachant plus à quel saint se vouer. Caricature vivante, Philippe Fretun incarne ce directeur plus obsédé de rentabilité que préoccupé du bien-être de ses pensionnaires. Rougeaud, faussement chic sanglé dans son costume trop serré bleu, il souffle, soupire, s’époumone toujours, en vain… Sous l’excellente direction de Charles Tordjman et dans le décor de Vincent Tordjman, le trio évolue devant de hauts éléments blancs et fins qui suggèrent l’espace médical. Posés devant une toile de fond verdoyante, jardin ou parc, ils ne s’écarteront qu’à la fin, découvrant au fils accablé, un dénouement «fantomatique ». Voilà des décennies que nous connaissons les obsessions de Jean-Claude Grumberg et son art unique de les exorciser par le rire, la dérision, l’absurde poussé à son paroxysme. De « l’Atelier », « Rêver peut-être » en passant par « Zone libre » « La leçon de Savoir Vivre », « L’enfant Do » et « Pour en Finir avec la Question Juive » pour ne citer que quelques titres de ses pièces les plus réussies, il est bien « L’auteur tragique le drôle de sa génération » comme le définissait Claude Roy. L’octogénaire n’a rien perdu de son humour dévastateur. « Votre Maman » en est la dernière et brillante confirmation. Foi de Lulu, vous ne pouvez pas être déçus.
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