Pour célébrer son centenaire, le Théâtre de la Michodière renoue avec l’esprit du boulevard dans ce qu’il a de plus raffiné : « La Jalousie », une comédie mordante signée Sacha GUITRY, mise en scène par Michel FAU. Derrière la légèreté apparente de la pièce, se cache un vertige psychologique où le rire se heurte à l’inquiétude, où le soupçon devient poison.
Le doute comme point de départ
Tout commence par un simple retard. Albert Blondel, fonctionnaire respectable, rentre chez lui après avoir trompé sa femme. Il cherche, fébrile, la bonne excuse pour dissimuler sa faute.
Mais voilà : Marthe, son épouse, n’est pas encore rentrée. Le doute s’installe, d’abord ténu, puis corrosif, jusqu’à l’obsession. Albert imagine, interprète, déforme, reconstruit la réalité pour mieux s’y perdre. Ce n’est plus un mari trompé : c’est un homme dévoré par le fantasme de la trahison. Et c’est bien ce qui frappe dans cette « Jalousie » : GUITRY y dissèque le mécanisme de la suspicion, cette manière qu’a l’esprit humain de fabriquer ses propres preuves.
Michel Fau, maître du déséquilibre
Sous la direction subtile de Michel FAU, la mécanique du texte se déploie comme une montre suisse où chaque engrenage du mensonge vient nourrir la folie.
FAU, qui est également l'interprète d’Albert, excelle dans ce rôle de mari paranoïaque, à la fois ridicule et pathétique, dont la mauvaise foi confine au sublime. Il campe un personnage d’une grande intensité : l’homme qui veut tout contrôler et ne maîtrise plus rien, victime consentante de ses propres élucubrations.
Une Gwendoline Hamon en pleine lumière
Face à lui, Gwendoline HAMON est éblouissante. D’abord douce et sincère, puis blessée et révoltée, elle traverse toutes les nuances de la dignité bafouée. D’un simple regard, elle fait sentir la fissure qui s’élargit entre l’amour et la suspicion. Grande comédienne de justesse, elle incarne avec force cette femme qu’on accuse avant même qu’elle ait pu se défendre.
Un casting aux multiples nuances
Autour d’eux, les seconds rôles dessinent une galerie délicieusement grinçante. Alexis MONCORGÉ prête à Marcelin Lézignan un charme ironique, tout en fausse légèreté. Ce dandy spirituel, qui s’admire presque autant qu’il séduit, devient sans le vouloir le catalyseur de la jalousie d’Albert.
Quant à Geneviève CASILE, elle apporte à Madame Buzenay, la mère de Marthe, une autorité tranquille et une ironie de bon aloi. Elle est un ancrage dans le réel au cœur du délire ambiant.
L’élégance d’une grande maison
Visuellement, la production séduit : les décors signés Nicolas DELAS évoquent une élégance bourgeoise faussement apaisée, tandis que les costumes de David BELUGOU ajoutent une touche de flamboyance, dans la pure tradition du théâtre de boulevard.
Michel FAU signe ici un hommage élégant et intelligent à Sacha GUITRY : un spectacle brillant, cruel et terriblement drôle, où l’on rit autant qu’on se reconnaît.
« La Jalousie » est une leçon de théâtre et d’humanité, servie par une distribution d’exception. Un bel hommage pour célébrer les 100 ans du théâtre de la Michodière !