MADEMOISELLE (lui pince le nez) : Te réveilleras-tu !
JEAN (rudement) : On ne dérange pas quelqu'un qui dort !
MADEMOISELLE (vivement) : Quoi ?
JEAN : Celle qui est restée aux fourneaux toute la journée, elle peut bien être fatiguée lorsque la nuit vient ! Et le sommeil, il faut le respecter...
Le Théâtre de l’Atelier, sous la récente direction artistique de Marc Lesage, renoue avec sa tradition de produire des œuvres théâtrales majeures comme Mademoiselle Julie, écrite en 1888 par August Strindberg.
« Tragédie naturaliste », la pièce se déroule à la fin du XIXème siècle, dans la cuisine d’un château, à la veille de la Saint-Jean.
Mademoiselle Julie (Anna Mouglalis), la fille du châtelain tente de séduire Jean (Xavier Legrand), son valet malgré le grand fossé social qui les sépare. En l’absence de son père parti en voyage et venant de rompre avec son fiancé, Julie est esseulée et en proie à vingt-quatre ans au doute existentiel.
Jean, quant à lui n’est pas insensible à la beauté sensuelle de sa jeune maîtresse. Il est toutefois promis à la sage mais bien terrienne Kristin (la cuisinière ici incarnée par Julie Brochen qui signe également la mise en scène de cette pièce).
Un rapport très complexe fait d’attirance, de domination et de répulsion mutuelle, se développe alors entre les deux personnages.
Tout se passe dans l’espace fermé d’une cuisine. Julie Brochen a choisi de montrer la profondeur du beau plateau de l’Atelier avec pour seules ouvertures deux portes qui laissent entrevoir l’extérieur, en proie à la fièvre d’une soirée de la Saint-Jean, un temps fort dans la société (et notamment dans les campagnes) pour célébrer l’arrivée de l’été.
C’est cette folie extérieure qui grise les deux protagonistes, entrant dans le bal de la séduction.
Anna Mouglalis est volcanique dans le rôle complexe de cette femme tour à tour, charismatique, perdue, amoureuse, révoltée, dominatrice, brisée. Altière dans ses costumes classiques mais toujours élégants, elle ensorcelle de sa voix grave son partenaire Xavier Legrand. Celui-ci, tout en intériorité, joue ce personnage de valet brusquement réveillé dans ses désirs et ses ambitions les plus folles.
Le spectateur assiste ainsi à un duel de haute volée entre deux milieux sociaux qui habituellement ne font que se frôler, d’une part et entre un homme et une femme d’autre part, au tempérament dangereusement inflammable.
Julie Brochen, sur l’invitation des comédiens, a exploré toute la violence et la sensualité du texte de Strindberg : « Le texte est saisissant, il échappe à toute contextualisation, il dérange, il nous malmène mais il suscite aussi dans le travail une joie profonde, une jubilation. »
Dans le bel écrin du Théâtre de l’Atelier, les louanges autour de ce spectacle n’ont pas tardé à fuser. « Face à face au sommet entre Anna Mouglalis et Xavier Legrand. (…) Une lecture lumineuse de la pièce. », relève Sceneweb.
« Perverse et envoûtante, cette Mademoiselle Julie, de Strindberg, mise en scène avec passion par Julie Brochen, offre à Anna Mouglalis un rôle d’une densité rare », souligne L’Humanité.
La chanson « Dieu Julie » de Gribouille accompagne avec justesse la poésie et le tragique du final de ce moment fort de théâtre.