« La vérité au théâtre est à jamais insaisissable. » Ainsi parlait Harold Pinter lors du discours de réception de son Prix Nobel en 2005.
Trahisons, pièce qu’il a écrite en 1978 en est un bel exemple, à travers son trio de vaudeville classique (l’amant, la femme et son époux) qu’il malmène à loisir en disséquant à rebours leur(s) adultère(s), c’est-à-dire leurs grands et petits moments de « trahisons. »
C’est au Théâtre de la Madeleine que Michel Fau a choisi d’explorer l’univers de cette fable cruelle, la mettant à la fois en en scène et endossant le rôle du mari, Robert, celui qui finalement, tire les ficelles.
Jerry et Emma se retrouvent deux ans après leur rupture. Elle est la femme de Robert, éditeur, vieil ami et plus que tout partenaire de squash de Jerry.
À partir de là, on remonte le cours de cette intrigue amoureuse entre trois « amis », à la façon d’une enquête policière.
En prenant le parti de commencer par la fin le récit de cette double liaison amoureuse (entre la femme et son époux et entre la femme et son amant), Pinter tisse les énigmatiques liens amoureux et amicaux du trio où chacun a construit sa propre vérité.
Ce qui lie chacun des personnages l’un à l’autre, c’est l’acte de confidence : faire le récit à l’autre (qu’on a pourtant trompé) d’un événement dont le motif va être répété constamment (et créer de la connivence avec le public), comme pour mieux se mentir à soi-même.
Et c’est dans cet univers où tout « se décale » que l’inventivité de Michel Fau excelle, dans le moindre détail (musique, costumes, lumières, scénographie, jeu des comédiens).
Ce dernier a notamment choisi de mettre en scène ce récit comme une partie de squash, « un des sports les plus intenses, très prisé par les milieux privilégiés des années 70, (…) avec tout ce que ça comporte de violent, de ludique et de chaotique, et la scénographie évoquera une salle de squash fermée, , étouffante, clinique, un défouloir, un "espace nul" comme on désignait le décor de la tragédie classique », explique le metteur en scène et comédien.
Il a confié à Joël Fabing le soin de travailler la lumière qui à travers toute une gamme de couleurs froides ou électriques savamment orchestrées permettent de distiller l’ironie et la tragédie de ce(s) couple(s) bourgeois qui vole(nt) en éclats.
Le travail sur les costumes suit cette idée de traduire l’ironie mordante et l’excentricité profonde inhérente à cette classe sociale anglaise privilégiée, désabusée de tout, exceptée du whisky.
Claude Perron est impériale dans ce jeu de la femme qui trompe son mari, son amant et elle-même. C’est elle qui joue le plus la note de l’excentricité apparente (costumes décalés, répliques cinglantes), tandis que Roschdy Zem (habitué du grand écran et dont c’est le grand retour au théâtre) et Michel Fau nous régalent dans leur souci commun d’afficher un véritable respect pour les conventions sociales et célébrer l’amitié.
Les décors s’agencent également ingénieusement d’une scène à l’autre, prenant une signification différente, en fonction d’un éclairage, d’une tonalité...
Amateurs du style de Michel Fau, ne ratez pas ce magnifique spectacle ! Michel Fau plus créatif que jamais a fait son miel de l’humour grinçant et décalé d’Harold Pinter.
Trahisons de Harold Pinter
Avec Roschdy Zem, Michel Fau, Claude Perron et Fabrice Cals
Mise en scène de Michel Fau