C’est dans l‘une des salles du Théâtre Essaïon que l‘on peut ressentir au plus près la représentation. Salle intimiste, proximité scène-salle, imprégnée des voix, clameurs, émotions de comédiens et auteurs des spectacles précédents, le...
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C’est dans l‘une des salles du Théâtre Essaïon que l‘on peut ressentir au plus près la représentation. Salle intimiste, proximité scène-salle, imprégnée des voix, clameurs, émotions de comédiens et auteurs des spectacles précédents, le public reçoit « Fin de partie » comme un boomerang. La langue résonne étonnement.
Un rapport de force sadique
Dès le départ, le rapport de force est planté. Hamm, (Philippe Catoire)aveugle en fauteuil roulant, placé comme au centre il l‘aime, dirige son monde tel un despote. Clov,(Jerôme Keen) démarche claudicante, vouté, à la fois homme à tout faire et fils adoptif, s’affaire en répondant aux ordres de son maître qu‘il faut gérer, porter, nettoyer, soigner et en plus, lui donner la réplique.« il y a une chose qui me dépasse, je t‘obéis toujours, tu veux m ‘expliquer ça par pitié ».
On pourrait dire qu’ils habitent une haute tour, avec des ouvertures si perchées, qu’elles nécessitent l‘usage de l’escabeau sur lequel Clov monte et descend d’un côté puis de l‘autre et inversement, chute aussi, afin de donner des nouvelles du monde extérieur.
Qu’est-ce-qui pousse un homme à obéir sans broncher aux ordres d’un tyran, même si ce dernier est son père adoptif ?(c’est moi qui t ‘ai servi de père, ma maison de home, sans moi, pas de père, sans Hamm , pas de home). Pourquoi ne se rebelle-t-il pas ? Bien que Clov soit un peu simple d’esprit mais plein de bon sens et Hamm use et abuse d’une attitude tantôt paternaliste, tantôt vocifératrice, cela ne suffit pas pour justifier la léthargie du jeune homme. Est-ce toujours le cas de ceux qui sont sous domination, osons le mot, sous colonisation ?Alors on peut se demander pourquoi le colonisé se déplace vers le pays du colon ?
Il y a bien un lien avec les formes d‘esclavage que les hommes au cours des siècles, reproduisent à l‘envi au delà de la couleur de la peau, du Nord au Sud, du sud au sud …. Y compris dans les familles avec les personnes plus âgées.
- C’est une fin de journée comme les autres n‘est-ce-pas Clov, ? va t - en, je t ‘ai dit de t ‘en aller …
- J’essaie , depuis ma naissance.
Bien sûr, il y a les solitudes qui pèsent sur le dos des personnages, il y a la peur de se retrouver sans rien, sans but, sans raison de vivre, la peur de l‘inconnu même si Hamm et Clov sont étrangers l‘un à l‘autre. (C’est mon rêve, un monde où tout serait immobile et silencieux. A quoi je sers ? dit Clov).
Sans compter Nell(Marie Henriau) et Nag,(Gérard Cheylus) mère et père de Hamm martyrisés, infantilisés, enterrés vivants, condamnés « à entendre l‘histoire », à vivre mi-corps visibles dans d’atroces poubelles et immondices.
« Et toute la vie on attend que ca vous fasse une vie ».
Mais, peu à peu au cours du spectacle, la situation va s’inverser.
Clov commence à mentir, parle de lui et dit qu‘il aimerait bien le tuer, qu‘il aimerait partir « même s’il n ‘a pas la clé du buffet », répond, riposte tandis que Hamm minaude, supplie, craque, réclame son calmant sans cesse.
- « il y a une goutte d’eau dans ma tête… »répète-t-il .J’ai mal aux jambes….Bientôt je ne pourrais plus penser ».
Et puis il y a « cette chose » :
- cessons de jouer
- jamais , mets-moi dans un cercueil
- Il n ‘y a plus de cercueil
- Alors qu‘on en finisse » .
La dernière image de Clov apparaît dans l‘embrasure de la porte de la cuisine, il est habillé en homme, un homme debout, tient une valise, son heure de partir a sonné. Sa vie à lui va pouvoir commencer.
La mise en scène de Jean-Claude Sachot est remarquable de sobriété et de justesse, avec un jeu de lumières efficace, un espace gris sans relief, propice à être empli par sa créativité, une direction d’acteurs qui valorise chacun, des accessoires du quotidien, des costumes disloqués, l‘ensemble traduit comme l‘aurait sans doute souhaité Samuel Beckett lui-même, cette fin de monde annoncée qui ne plaît pas beaucoup et que nul ne veut entendre.
Djalila Dechache
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