Bernard Fructus signe une pièce hors des sentiers battus qui use des codes de la comédie pour mieux soulever des réalités nauséabondes.
Une ambiance effervescente règne dans le Café de la Gare comme les réminiscences d’un passé rock’n’roll et libertaire. « Attention, ceci n’est pas une comédie, on vous aura prévenu ! » affirme une bande-son. Nous voilà préparés. Ça rit, ça s’excite dans les gradins à l’approche de la première de Têtes de Lard. Les teasers pour le moins mystérieux ont éveillé la curiosité du public qui se demande comment le cochon va-t-il être mis en scène.
Et le lard, justement est au centre de la scénographie. A l’ouverture du rideau, fou-rire collectif, l’énorme porc fait son petit effet. Des effets dont on taira le secret pour laisser la surprise aux futurs spectateurs…
Le gigantesque cochon acheté par Louis Ginesty (Loïc Legendre), garçon bouché, est le point de départ de la pièce qui nous plonge dans les coulisses d’une boucherie familiale. Dès le début, les gags s’enchainent. Louis, un brun alcoolo veut abattre le cochon monstrueux à coup de fusil, mais sa mère, Leonne (excellente Carole Massana) l’en empêche, inquiète d’ameuter tout le village. Cette veuve quelque peu tyrannique avec ses enfants semble sortir tout droit d’un film d’Etienne Chatiliez. Hystérique et brut de décoffrage, elle tente de tenir ses deux enfants qui se laissent dévier gentiment. Charlotte, sa fille, (hilarante Morgane Bontemps)qui travaille au supermarché, enchaîne les crises de larmes et quitte la pièce dès qu’elle est submergée.
Après le cochon c’est Barnabé (Timothée Manesse), un vieux copain de Louis qui vient perturber cette famille à la dérive. Ce jeune homme originaire du village, monté à Paris pour devenir comédien, sème peu à peu le trouble chez les Ginesty. Il se joue de chacun pour obtenir leur faveur, s’amusant de ce triangle malsain. Plus la pièce avance, plus le rire se fait jaune. On s’engouffre alors dans une boucherie de campagne où les non-dits se défont peu à peu.
Le frère, incarné avec une grande justesse par Loïc Legendre, exulte dès qu’il parle de cinéma, cachant derrière ces éclairs de passion, un alcoolisme qui le rend violent, qui semble abriter une douleur sourde et un ennui profond. La très névrosée Charlotte quant à elle, cache de lourds secrets qui la détruisent. On passe d’un humour franc à une violence absolue : un film noir empreint d’une dimension sociale tout à fait intéressante.
Barnabé, le pivot de la pièce qui anime la noirceur des relations chez les Ginesty est merveilleusement interprété par Timothée Manesse qui excelle dans cette pièce, dévoilant un jeu d’un naturel et d’une fluidité vraiment remarquable. Il incarne parfaitement la complexité de ce personnage qui oscille entre le statut d’escroc sans vergogne et celui de gosse abîmé. Toute la troupe est à la hauteur de cette sombre comédie qui pâtit de quelques longueurs qui ralentissent le rythme et font perdre du mordant à la pièce. Finalement, le cochon n’existe plus et on aimerait aller plus loin dans ces exhortations des passions familiales. Il se dégage une grande tendresse pour ces personnages tantôt très humains, tantôt caricaturaux.
Ce qui est sûr c’est que cette pièce ne ressemble à aucune autre et qu’elle sort totalement des codes du théâtre convenu. Un ovni à découvrir au Café de la Gare,