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[INTERVIEW] Rencontre avec l’autrice de Théâtre Léonore Confino

Interview

Léonore Confino a écrit huit pièces pour le Théâtre dont « Le poisson belge » au Théâtre de la Pépinière, « Parlons dautre chose » au Théâtre de Belleville, Ring au théâtre du Petit Saint-Martin puis la version immersive « Smoke rings » au Théâtre Michel ou encore « Les beaux » au Théâtre du Petit Saint-Martin. Nous vous proposons de faire plus ample connaissance avec cette autrice à la plume vive et parfois tranchante, qui nous invite à toujours aiguiser notre regard.

 

Pouvez-vous vous présenter en quelques mots ?

Je suis autrice de théâtre et scénariste pour le cinéma et la télévision. J'ai écrit huit pièces, dont six ont été montées par Catherine Schaub et nous nous apprêtons à monter la neuvième ensemble.

Je suis passionnée de sociologie et quand je me lance dans un thème, je commence par collecter des bouquins de socio. Je mintéresse particulièrement à tout ce qui est de l'ordre du déterminisme social, aux héritages, aux places assignées et comment les déjouer. Je crois que le théâtre est l'endroit où il est justement possible de transgresser le destin !

 

Comment avez-vous commencé à écrire pour le Théâtre ?

Jai commencé par être comédienne, pendant de nombreuses années.

Jai adoré le théâtre dès l’enfance, mais à l'école je n’étudiais pas de textes dautrices dramaturges, je n’avais pas de modèle, et cela ne m’était jamais venu à lesprit que je pouvais m'autoriser à écrire.

Quand j'ai écrit ma première pièce « Ring », je lai pensée dans loptique de la jouer. Mais quand je suis arrivée au bout de l'écriture, je n’avais plus du tout envie de monter sur le plateau ! Je voulais rester dans l'écriture et regarder d’autres comédiens s’en emparer. Je suis devenue insatiable d’écriture, c’est devenu une vie parallèle. Alors j’en ai fait mon métier.

 

"Smoke Rings" au Théâtre Michel (version immersive de "Ring")

Et qu'est-ce qui vous anime particulièrement dans l'écriture de théâtre ? 

Le dialogue, au sens large. Jaime l'idée de faire dialoguer des personnages pour réparer des zones de silence de la vie, des non-dits. Le théâtre c’est une oreille grande ouverte à tous ces moments où on a pas eu la force de parler, où on a pas été écouté.

Puis la catharsis. Avec la présence des corps des acteurs sur le plateau face aux corps des spectateurs : ils reçoivent un écho physique aux émotions des acteurs. La présence humaine, c’est toute la différence avec les écrans. On épouse le souffle des personnages. C’est pour ça qu’un ado qui a l’occasion de venir juste une fois au théâtre, mais au bon moment, pour rencontrer la bonne pièce, peut être touché si profondément que ses perspectives seront modifiées.

 

Quel a été votre ressenti la première fois qu’une de vos pièces a été jouée sur scène ?

« Ring », avec Sami Bouajila et Audrey Dana est le premier de mes textes que jai vu joué sur scène. Au-delà du stress paralysant, j'ai réalisé le pouvoir du partage. Javais assisté aux répétitions, mais j'ai réalisé à quel point la levure agit et le gâteau gonfle une fois qu'il y a la concentration du public. Il y a des choses qu'on ne peut pas trouver lors de la préparation de la pièce sans le regard des spectateurs : l’ensemble se déploie. Cest une surprise merveilleuse, ou parfois le contraire !

"Le poisson belge" au Théâtre de la Pépinière

Faites-vous évoluer vos pièces après la première représentation ?

En général, l’armature de la création est fixée dès la première. Mais les metteurs en scène avec lesquels je travaille en général sont très sensibles à la question de l'instant renouvelé de soir en soir,  et ça passe par le fait de réinsérer régulièrement des enjeux, reparler d’une scène avec les acteurs, la tenter autrement… Dès que quelque chose se tranquillise un peu trop on intervient pour réinjecter du risque. Sinon, un écran se glisse entre les acteurs et les spectateurs, ils perdent le contact.

Dans quelles conditions aimez-vous écrire ?

J’aime bien baigner dans la société. Donc j’écris dans des lieux de vie bruyants. Dans les gares, les cafés, devant l’école. Il faut que j'entende les gens, leur manière de s'exprimer, quelles sont les expressions récurrentes d’aujourd'hui, les entraves au langage, la façon de s’impatienter, de parler au téléphone, d’éduquer leurs enfants, tout cela va directement imbiber ma façon d'écrire.

La pièce "Building" était née quand j’étais hôtesse d’accueil au palais des Congrès de la porte Maillot. Toutes la journée, j’entendais des actionnaires, ou des gens en entreprises discuter devant moi sans me voir. J’étais pas vraiment familière du milieu de l’entreprise, mais sans le savoir, ils m’ont permis d’y entrer par leur jargon.

A travers votre pièce « Parlons d'autre chose », qu’aviez-vous envie de faire ressortir des adolescents d'aujourd'hui ? 

Cette pièce est née de la rencontre d'un groupe de jeunes entre 18 et 21 ans à l'école de théâtre Les enfants terribles. Ils sont venus nous voir Catherine Schaub et moi, et nous on dit quils aimeraient vraiment qu'on crée quelque chose ensemble.


"Parlons d'autre chose" au Théâtre du Funambule puis au Théâtre Tristan Bernard

 

Nous navions pas envie d'avoir des idées préconçues. L’adolescence est une mutation permanente, elle ne s’attrape jamais, alors on voulait vraiment partir d’eux, à cet instant. Nous les avons donc interviewés durant plusieurs mois autour de leurs habitudes, de leurs aspirations, de leurs amours, de leurs relations familiales et avec eux nous avons construit des avatars qui leur ressemblaient énormément.

Il en est ressorti que lensemble de leurs innombrables désillusions constitue bizarrement un tremplin : ils sont libres de réinventer tout un monde. Je les ai trouvés étonnamment créatifs avec leurs vies, à l’écoute de leurs besoins. Ils s’écoutent parce qu’ils ne sont pas inhibés par des modèles : les modèles ont explosé.

 

Vous avez écrit deux pièces, « Smoke rings » et « Les Beaux », qui parlent d'intimité du couple avec une certaine férocité. Est-ce que vous pensez qu’amour et haine sont toujours intimement liés dans le couple ? 

Je pense que le couple est le lieu de l'équation impossible ! Et c’est ce qu’on cherche au théâtre, les équations impossibles !

Voici deux étrangers qui ont vécu séparément pendant des années et du jour au lendemain ils se mettent à dormir toutes les nuits dans le même lit, à faire les courses ensemble, à marier leurs héritages familiaux, à parfois devoir éduquer des enfants ensemble… le modèle institutionnel qu’on nous vend est très balisé, voué à l’usure des deux partenaires, et il est étonnant qu’on ne soit pas plus inventifs ! Du coup, j’ai pas mal d’admiration pour ceux qui se débattent, qui cherchent, qui prennent le couple comme un laboratoire de l’altérité, quitte à ce que ça pète un peu.

"Les beaux" au Théâtre du Petit Saint-Martin

 

Et puis au théâtre, à travers « le couple » il est possible de prendre le pouls de la société. On peut y étudier notre rapport à l'individualisme, à l'argent, aux institutions, aux genres, à la répartition des tâches, à la place du sentiment... Cette cellule, c’est un petit big bang sur un plateau !

 

Quelles sont les réactions que vous aimez particulièrement observer chez les spectateurs ? 

Jaime quand les spectateurs ont des réactions simultanées, quand tout d'un coup il y a un silence contagieux dans la salle, ou une apnée, ou un éclat de rire généralisé. Cest quand on sent que tout d'un coup tout le monde a une écoute au diapason.

Je me demande si je n’écris pas pour arriver à attraper ce moment là, celui où les spectateurs retiennent leur souffle dun seul élan. Je trouve ça merveilleux, les émotions partagées.

Souhaitez-vous nous parler de votre prochaine pièce ? 

Elle s'appelle « Le village des sourds », un spectacle tout public à partir de 9 ans. J’ai démarré cette histoire après une longue période d’insomnies, pendant laquelle j’étais tellement fatiguée que je perdais mes mots. Je n'utilisais plus que des mots utiles, du quotidien, alors par peur de la pénurie, j’ai commencé à m’écrire une liste secrète de mots poétiques. Cette expérience m’a incitée à écrire sur l'appauvrissement du langage, la réduction des mots, et dans la foulée, l’incapacité à s’exprimer différemment des autres.

Lhistoire se déroule dans un village polaire fictif qui s'appelle Okionuk dans lequel un marchand va débarquer avec un catalogue de produits. Ce village vivait en autarcie totale, en accord avec la nature, avec une culture de l'oralité hors du commun. Le marchand va proposer aux villageois, d’acheter ses produits non pas avec leur argent mais avec leurs mots.  Peu à peu, ce peuple va se délester de toute sa langue pour s’équiper en maisons, en électro-ménager, jusqu’au mutisme total.

Toute lhistoire nous est contée par une adolescente sourde qui reste la seule à avoir conservé en secret la mémoire et la langue du village, celle des signes.

La pièce sera interprétée par Jérôme Kircher et nous recherchons actuellement une jeune actrice malentendante qui va pouvoir nous raconter cette histoire.

Par ailleurs, avec mes camarade autrices Dominique Chryssoulis, Mona El Yafi et la metteuse en scène Véronique Bellegarde, nous avons lancé le collectif CREATURE, qui cherche à créer de nouvelles figures féminines dans la fiction théâtrale. Nous sommes implantées à Montreuil où on est en train de construire un festival autour des écritures contemporaines.

 

Si vous n’étiez pas autrice quel métier auriez-vous aimé faire ? 

Sans hésiter orthophoniste ! Lannée dernière je me suis renseigné à fond, mais cest des années d'études. Il faudrait tout lâcher, tout recommencer. Mais j’aurais adoré ça, aider les gens à retrouver le langage, travailler sur la façon de prononcer, de réarticuler la pensée, donc vraiment sans hésiter c'est le métier que je regrette plus que tous les autres.

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Jacques
Jacques - membre depuis 91  mois
J'attends avec impatience l'ouverture des théâtres !
Anonyme
Francoise
Les Beaux nous a beaucoup touchés.Et qu’elle originalité !Bravo!

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