Seul en scène, dans « Maintenant je n’écris plus qu’en français » au Théâtre de Belleville, Viktor KYRYLOV livre un récit bouleversant d’exil et de renaissance. Après avoir fui Moscou en 2022, l’auteur-comédien ukrainien transforme son déracinement en acte poétique et politique. Une parole intime, urgente, portée par une mise en scène sobre et lumineuse.
Un récit d’exil aux résonances brûlantes
Viktor KYRYLOV a quitté Moscou en 2022, au lendemain de l’invasion de l’Ukraine par la Russie. De cette rupture brutale est née une œuvre profondément intime et politique, « Maintenant je n’écris plus qu’en français », un seul-en-scène bouleversant dans lequel il revient sur son parcours d’exilé, d’artiste, et d’homme en quête de sens.
Le texte est à la fois un journal de bord, une lettre d’adieu et un cri d’alerte, porté par l’urgence de dire. L’urgence de dire autrement.
Une identité fracturée, entre sidération et perte de repères
Le 24 février 2022, Viktor est sidéré. La guerre éclate, et avec elle s’effondre toute la structure sur laquelle reposait sa vie.
Étudiant ukrainien dans une prestigieuse école de théâtre à Moscou, il croyait encore à la grandeur culturelle de la Russie, aux ponts que l’art pouvait jeter au-dessus des conflits. Mais ce matin-là, un appel de sa mère, « Odessa est bombardée », fracture sa vision du monde.
Dès lors, chaque certitude se fissure : sa passion pour la langue russe devient suspecte, son rêve moscovite se transforme en trahison, son avenir devient illisible.
Doit-il partir ? Rester ? Combattre ? Mourir ? Il n’a plus de place, ni là-bas ni ici. En Russie, il porte le visage de l’ennemi. En Ukraine, celui du traître. Son existence tangue entre culpabilité et vertige.
Ce chemin, douloureux et sans guide, le pousse à se réinventer dans une langue étrangère, comme on reconstruit une maison après un tremblement de terre.
Ce n’est pas seulement une guerre géopolitique que raconte la pièce, mais une guerre intime, intérieure, entre fidélité, honte, lucidité et renaissance.
Un jeu à vif, pudique et incarné
Sur scène, Viktor KYRYLOV ne joue pas un rôle : il livre une part de lui-même avec une intensité discrète, mais bouleversante.
Son jeu se déploie dans la tension entre retenue et émotion, entre lucidité et vulnérabilité. Il capte l’attention sans jamais forcer l’empathie, simplement par la vérité nue de son récit, par l’intelligence de son regard et la justesse de sa voix. Il n’y a ni pathos ni effets : tout repose sur la sincérité d’un témoignage incarné.
Une mise en scène sobre, au service du texte
La mise en scène d’une grande délicatesse. Le choix s’est porté sur la sobriété, pour mieux faire entendre les mots. Pas de fioritures ni de grands effets visuels : tout est pensé pour que le corps du comédien, sa voix, sa respiration même, occupent l’espace avec justesse. Le spectateur est ainsi placé face à l’essentiel : une parole nue, vivante, vibrante.
La scénographie joue avec le vide, la lumière et quelques éléments discrets, comme autant d’îlots dans un territoire en friche. Rien n’est superflu : une chaise, une table, une valise, un mur nu, quelques projections. Ce dépouillement traduisant l’errance.
« Maintenant je n’écris plus qu’en français » n’est pas seulement un spectacle sur l’exil : c’est un geste de résistance poétique et politique. Un acte de création comme on en voit peu. A voir absolument.