Le grand metteur en scène Peter Stein retrouve une nouvelle fois le grand acteur Jacques Weber autour de trois petites pièces réunies sous le titre « Crise de nerfs ». Est-ce pour autant un grand spectacle ? Quoi qu’il en soit, s’y révèle une actrice explosive :...
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Le grand metteur en scène Peter Stein retrouve une nouvelle fois le grand acteur Jacques Weber autour de trois petites pièces réunies sous le titre « Crise de nerfs ». Est-ce pour autant un grand spectacle ? Quoi qu’il en soit, s’y révèle une actrice explosive : Manon Combes.
Les petites pièces en un acte de Tchekhov font le bonheur des cours d’art dramatique, mais quand un metteur en scène décide de les monter, c’est par deux et, le plus souvent, trois. Jamais une par une. Sauf rares exceptions, comme la sublime version de Sur la grand-route que mit en scène Klaus Grüber à Berlin à la Schaubühne dirigée alors par Peter Stein (le spectacle est venu en France dans le cadre du Festival d’automne), spectacle qui suscita à Bernard Dort l’un de ses plus beaux textes.
Le plus souvent, ces spectacles ne sont pas l’œuvre de débutants mais de metteurs en scène qui ont une longue carrière derrière eux. Ils s’offrent là un petit plaisir, une petite gâterie, un bonbon tardif. C’est le cas présentement avec Peter Stein qui a monté plusieurs grandes pièces du dramaturge russe, y compris en allant présenter l’une de ses mises en scène berlinoises (La Cerisaie) à Moscou mais, cependant, ne voulant pas diriger des acteurs russes dans la langue de Tchekhov. Il s’en explique dans Mon Tchekhov (Actes Sud-Papiers, collection Apprendre) où sa connivence durable avec Tchekhov se fonde sur un miracle : le fait, selon Peter Stein, que Tchekhov « a pu regarder la Russie avec les yeux d’un Occidental », en portant « un regard critique sur la Russie, mais non pas dans la perspective de Dostoïevski ».
Voilà que je me mets à ressembler au personnage de l’une de ces petites pièces, Les Méfaits du tabac, où l’unique personnage est censé, à la demande de sa femme (que l’on devine d’un caractère affirmé), faire devant nous une conférence sur la nocivité du tabac (bien qu’il soit fumeur), mais ne cesse de parler d’autres choses. Voilà que j’ai déjà engrangé un gros feuillet (mille six cent soixante-six signes exactement) et je n’ai toujours pas entamé ma critique de Crise de nerfs, un spectacle de Stein réunissant trois peties pièces de Tchekhov, Le Chant du cygne, Les Méfaits du tabac et Une demande en mariage avec comme fil conducteur – et vendeur – le « grand acteur » Jacques Weber présent dans les trois pièces.
Ce n’est pas la première fois que Stein et Weber travaillent ensemble. Tout avait commencé par un Labiche en 2013 à l’Odéon quand cet établissement était dirigé par le regretté Luc Bondy. D’autres aventures avaient suivi, jusqu’à une sorte d’apothéose que fut, il y a quatre ans, La Dernière Bande de Beckett (lire ici). Weber était méconnaissable jusque dans son jeu. Diabolique directeur d’acteurs, Peter Stein avait su le pousser dans des contrées où il n’était jamais allé. Allait-il doubler la mise avec les trois petites pièces de Tchekhov ? On se posait la question en entrant au Théâtre de l’Atelier.
Peter Stein a habilement composé son spectacle en passant d’une pièce à deux personnages, le second étant très secondaire (Le Chant du cygne), à un monologue (Les Méfaits du tabac) et, enfin, à une pièce à trois personnages réunissant le père, sa fille et son prétendant (Une demande en mariage). Un efficace 2/1/3 qui traduit également les degrés de puissance de chaque partie. La dernière étant de loin la plus enjouée et révélant une actrice, Manon Combes, que l’on a vue jouer ici et là mais sans atteindre la force dévastatrice que Peter Stein fait émerger en elle.. A ses côtés, Loïc Mobihan dans un jeu plus torsadé, comme le veut le personnage, n’est pas mal non plus.
Saluons le travail phénoménal de la perruquière, Cécile Kretschmar. Dans les articles, on oublie souvent le personnel autre que celui des comédiens. On ne parle jamais des perruquiers et des perruquières, il faut dire que l’usage des perruques se perd. « Comme tout », aurait dit le personnage omniprésent du vieil acteur histrion d’Un chant du cygne. Un vieil acteur de 68 ans (c’était très vieux au temps de Tchekhov, bien plus que les 71 ans de Weber), qui a joué de grands rôles comme son interprète. Il n’est pas dénué d’autosatisfaction, comme souvent les vieux acteurs. Il s’est endormi sur la scène du théâtre et se trouve enfermé. Un personnage qui annonce le Firs de La Cerisaie et son admirable dernière scène (ne manqueront pas de dire les critiques). Le vieil acteur marmonne, hurle le nom du souffleur qui dort dans le théâtre croyant que personne ne le sait. Les deux portent une perruque. Celle du « grand acteur » fait penser à je ne sais quel personnage du cinéma expressionniste allemand. Le « grand acteur » en porte une autre dans Les Méfaits du tabac mais, cette fois, elle semble inspirée par un Michel Simon entre deux âges, avant qu’il ne nous habitue à sa large tronche inoubliable. Dans Une demande en mariage, Weber n’a plus de perruque mais il a revêtu une tenue vaguement militaire russe comme aimait à en porter Staline à en juger par certaines photos. C’est la seule pièce où il s’absente de scène. La seule des trois pièces où, grâce à une direction d’acteurs exquise et des acteurs au petit poil, « on ne s’ennuie pas une seconde », comme disent les critiques.
Avant d’aller au théâtre, je me suis assis dans un square, et pour me mettre dans l’ambiance, j’ai lu Tchekhov, un homme et son œuvre de Korneï Tchoukovski, un livre qui vient de paraître chez Interférences. Ce n’est pas une biographie, ce n’est pas un essai comme le fort recommandable Regardez la neige qui tombe de Roger Grenier (Folio, Gallimard), c’est la promenade tendrement amoureuse d’un homme bienveillant qui a lu Tchekhov toute sa vie, a vieilli avec lui, Korneï Tchoukovski. Un délice où l’érudition s’efface et laisse la caresse de l’approche. Il faut lire ses pages sur ce qu’il appelle « l’extrémisme de la vérité » chez Tchekhov, ou bien comment l’auteur nous entraîne pour partager avec lui la sympathie d’un personnage, sa bonté finale.
Bon, j’ai dépassé les trois feuillets et je n’ai toujours pas commencé ma critique. Tiens, je pourrais commencer ainsi : un, deux trois, Tchekhov ! Pas mal, non ? « Mouais » lascif alentour. Mais si, comme les enfants disent : Un, deux, trois, Soleil ! Tu ne comprendras donc jamais rien à mes jeux de mots. « Il est... » Oui, je sais, il est tard. Laisse-moi finir mon papier, je n’ai pas encore dit où cela se passait.
Jean-Pierre Thibaudat
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