Pouvez-vous vous présenter ?
Je suis l’auteure et la metteuse en scène de deux spectacles, Les Crapauds Fous et La Course des géants.
Le premier raconte l’histoire vraie de deux médecins polonais qui ont sauvé des milliers de vies en mettant au point une incroyable supercherie.
Le deuxième croise la petite histoire d’un rebelle américain et la grande histoire de la conquête spatiale aux États-Unis dans les années 1960.
Vous avez fait des études de sciences politiques et de psychologie, qu’est-ce qui vous a amenée au théâtre ?
Je voulais être comédienne depuis ma première expérience sur scène dans un centre de vacances quand j’avais 6 ans. Je me souviens de toute cette soirée dans les moindres détails : j’avais imité Elie Kakou et entre chaque sketch je courais me remaquiller dans la loge, complètement euphorique. À la fin du spectacle, j’avais une couche de fond de teint de trois centimètres et je ne pensais plus qu’à recommencer.
Mes parents m’ont inscrite dans un atelier de théâtre juste après, puis à 15 ans je suis entrée dans la classe d’un prof d’art dramatique extraordinaire au conservatoire régional de Toulon. Mes études en sciences politiques et en psycho étaient passionnantes mais je savais que je voulais jouer et créer des spectacles.
Dans quelles conditions écrivez-vous ? Comment vous vient une idée (avez-vous un exemple / une anecdote) ?
J’écris surtout chez moi, très tôt le matin car mes idées arrivent souvent la nuit.
Pour Les Crapauds fous, j’ai rêvé de l’expérience de Milgram et au réveil j’avais l’idée de la scène d’ouverture où une jeune étudiante en psychologie rend visite au meilleur ami de son grand-père pour en savoir plus sur leur passé de résistants et sur ce qui fait qu’on obéit ou non à un ordre injuste.
Les Crapauds fous
Vos deux spectacles ont un ancrage historique fort. Comment procédez-vous dans l’écriture pour partir d’un fait et le transformer en récit ?
Pour Les Crapauds fous, j’ai été bouleversée par le fait historique réel que j’ai découvert par hasard. Les mois qui ont suivi, je n’arrêtais pas de penser aux véritables héros, à ce qu’ils avaient dû ressentir en accomplissant l’impossible, aux épreuves qu’ils avaient dû surmonter, aux conflits qui avaient dû les opposer… Quand j’ai décidé d’écrire la pièce, j’ai juste laissé les personnages parler, sans réfléchir.
Les Crapauds fous
Pour La Course des géants, c’est le processus inverse. Je savais que je voulais parler des rencontres qui changent le cours d’une vie et de ce que l’on est prêt à accomplir et à sacrifier pour réaliser un rêve. J’avais plusieurs idées d’histoires sur ce thème, je les ai toutes présentées à mon producteur David Roussel et il m’a dit qu’il était particulièrement emballé par mon pitch sur l’espace. Les histoires vraies sont venues nourrir le contexte et alimenter quelques péripéties mais la fiction prédominait.
La Course des géants
On vous compare souvent à Alexis Michalik, qui sont vos références en matière de création ?
On compare toutes les pièces qui utilisent les codes narratifs que l’on retrouvait auparavant plutôt dans les séries et au cinéma à celles d’Alexis Michalik, peut-être parce qu’il est l’un des premiers à l’avoir fait, ou parce que ses pièces, que j’adore, ont toutes énormément marqué les spectateurs. Mais cette comparaison très flatteuse m’étonne toujours beaucoup.
On ne compare pas tous les auteurs qui font des spectacles qui se déroulent dans le salon d’un appartement, tous ceux qui créent des comédies musicales...
De plus en plus de spectacles utilisent ces codes-là parce qu’ils correspondent à un rythme auquel les auteurs et les spectateurs se sont habitués, qu’ils permettent de prendre des libertés folles pendant l’écriture et que l’usage croissant de la vidéo facilite aujourd’hui la mise en scène de ce type de récit.
La Course des géants
Pauline Bureau, dont les spectacles abordent toujours des thèmes de société, nous fait aussi voyager dans le temps et l’espace, avec des acteurs nombreux qui interprètent plusieurs rôles, et je ne pourrais pas pour autant comparer ses créations à celles d’Alexis Michalik tant les histoires et les univers sont différents. Ce serait comme comparer Armageddon et Coup de foudre à Notting Hill sous prétexte qu’on y voit différents lieux, que les scènes sont courtes ou que les acteurs sont beaux…
Comment travaillez-vous sur les ressorts comiques dans vos spectacles ?
Je n’essaie pas d’écrire des scènes drôles. Dans mes deux pièces, des vies sont en jeu et les personnages doivent trouver des solutions à des situations qui semblent inextricables. Quand la tension est très forte, l’humour surgit naturellement dans le texte, comme quand dans la vie un fou rire nous prend dans une situation où la gravité et le sérieux s’imposent.
Il y a aussi beaucoup d’humour qui est apporté par le jeu des acteurs. Par exemple dans la Course des géants, Alexandre Texier dit dans une scène qu’il veut que toute l’équipe de la Nasa croie à 100% dans les chances de survie des astronautes qui sont alors en danger. Nicolas Lumbreras lui répond simplement « Très bien ». Une personne qui lirait la pièce ne pourrait pas soupçonner l’éclat de rire que suscite chaque soir cet échange : ce sont les acteurs qui sont drôles dans leur façon de vivre cette situation dramatique.
Vos pièces sont très « cinématographiques », comment parvenez-vous à créer un tel effet ?
Les scènes sont courtes et l’on passe d’un lieu à un autre avec beaucoup de fluidité grâce aux décors ingénieux de Hélie Chomiac pour Les Crapauds fous et de Olivier Prost pour La Course des Géants. Il y a aussi des flashbacks et des ellipses : dans La Course des Géants, Jordi Le Bolloc’h incarne ainsi le même personnage à l’adolescence et à l’âge adulte. On reconnait sa fougue, son impulsivité, mais il devient plus à l’aise et sûr de lui en évoluant dans un milieu plus favorisé. La musique originale composée par Simon Meuret renforce aussi cette dimension cinématographique… Simon a composé des musiques orchestrales ainsi que des chansons, dont certaines sont interprétées en live par Anne-Sophie Picard, qui incarne la femme du héros, une chanteuse libre, provocatrice et assez peu conforme à l’image de l’épouse idéale des années 1960.
La virtuosité des acteurs contribue grandement à ce côté cinématographique : à six, ils incarnent plus d’une trentaine de personnages si bien que les spectateurs sont souvent étonnés au moment des saluts de découvrir qu’ils ne sont pas (encore) plus nombreux. Valentine Revel-Mouroz passe d’une mère toxicomane à une femme au foyer drôle et attachante, Alexandre Texier d’un policier peu futé à un charismatique directeur de vol de la Nasa, Nicolas Lumbreras d’un pizzaiolo italien à un général psychorigide, Eric Chantelauze d’un barman à un psychologue plein de contradictions…
Au cœur de vos spectacles, on retrouve l’idée d’un accomplissement extraordinaire. Avec le succès fulgurant de vos pièces, vous semblez suivre une trajectoire semblable à celle de vos héros, comment vivez-vous cette reconnaissance ?
Avec beaucoup de joie et de gratitude, j’ai une chance inouïe d’avoir rencontré des acteurs et des producteurs formidables.
Il y a quelques années, quand j’allais voir un spectacle au Théâtre des Béliers ou dans d’autres théâtres parisiens, je rêvais d’y jouer un jour mais sans vraiment y croire, comme on rêverait d’inviter Hugh Grant à diner ou d’intégrer Poudlard...
J’imaginais que c’était un monde magique complètement fermé, inaccessible. Je sais maintenant qu’il est au contraire peuplé de passionnés, ouverts, enthousiastes, désireux de rencontrer d’autres passionnés pour raconter de nouvelles histoires.
Votre second spectacle semble avoir un ancrage plus fictionnel que le précédent. Envisagez-vous d’écrire un spectacle qui soit purement fictif ?
Oui j’y pense !
Quelles réactions voulez-vous susciter chez votre public ?
J’aime beaucoup les mots de Maya Angelou : « Les gens oublieront ce que vous avez dit, ils oublieront ce que vous avez fait, mais ils n'oublieront jamais ce que vous leur avez fait ressentir ».
J’aimerais que les spectateurs soient touchés. Par l’histoire, par les acteurs, par le rire d’une fille au 4ème rang. J’aimerais qu’ils sortent avec la joie d’avoir partagé une aventure unique, forcément différente de celle de la veille ou du lendemain, et avec l’envie de retourner très vite au théâtre.