Vous êtes auteur, metteur en scène, acteur et avez également un rôle de direction dans deux Théâtres Parisiens...
Oui, j’ai rejoint Francis Nani à la direction du Théâtre du Palais-Royal il y a sept ans maintenant et nous avons repris le Théâtre Michel depuis un an et demi.
Au Théâtre du Palais Royal nous présentions depuis plus de trois ans Edmond d’Alexis Michalik et le spectacle sera repris évidemment dès que la situation le permettra.
« Edmond » d’Alexis Michalik au Théâtre du Palais Royal
Au Théâtre Michel, depuis notre réouverture, c’était La machine de Turing qui était à l’affiche. La pièce sera aussi reconduite, avec Benoît Solès en alternance avec Matyas Simon, qui a déjà joué toute la saison en cours, depuis l'été dernier. Deux acteurs formidables, ça donne deux Turing complètement différents et d’ailleurs j'incite les gens à venir comparer les deux, car c'est intéressant sur un rôle aussi riche de voir deux interprétations complémentaires, belles et humaines.
« La Machine de Turing » de benoît Solès, au Théâtre Michel
Et puis il y a le spectacle que j'ai mis en scène pour le Théâtre des Mathurins, qui s'appelle Derniers coups de ciseaux et qui lui aussi reprendra dès que possible.
« Dernier coup de ciseaux » de Sébastien Azzopardi et Sasha Danino
On devait reprendre Le tour du monde en quatre-vingts jours à la Gaîté, au printemps et durant l'été. Nous allons peut-être le reprendre quand même pour quelques dates à la rentrée, si l'organisation nous le permet, mais ce n'est pas encore certain. Nous n’avons pour l’instant ni date de reprise, ni consigne sanitaire… Dans tous les cas, il va falloir prendre des précautions pour la rentrée des théâtres.
Je doute que nous puissions proposer des spectacles en alternance, c’est à dire enchaîner les spectacles à 19h puis à 21h, comme on le fait habituellement. Ce sont autant de questions que l’on doit prendre en compte, mais face à tant d’incertitudes, en tant que directeur du Michel et du Palais-Royal, j'ai décidé de reporter les spectacles de 19h en décembre.
Travaillez-vous actuellement sur un nouveau spectacle ?
J'ai une création au Théâtre de la Gaîté, qui devait normalement commencer le 4 juin, mais je pense que nous pouvons raisonnablement reculer cette date. Le spectacle s'appelle « L'embarras du choix » ; c'est une pièce que j'ai co-écrite avec mon complice Sacha Danino. C’est avec lui que j’écris tous mes spectacles. Nous nous sommes rencontrés au Lycée Henri IV et nous ne nous sommes jamais lâchés. Notre écriture à quatre mains se nourrit beaucoup de notre amitié. Nos conversations sur nos vies enrichissent nos pièces. Notre premier spectacle a été le Tour du Monde en 80 jours, puis nous avons écrit Mission Florimont, Coup de Théâtres, adapté Dernier Coup de Ciseaux. Puis nous nous sommes lancés dans des thrillers fantastiques ou horrifiques, comme la Dame Blanche ou Chapitre XIII.
Cette fois, avec L’Embarras du Choix, nous racontons l'histoire de Max, 35 ans, qui réalise qu’il n'a pas la vie qu'il aurait voulu avoir. Il ne fait pas le boulot dont il rêvait quand il était jeune, il n'a pas épousé la femme dont il était fou amoureux. Il se retrouve confronté à un moment de sa vie où il doit faire des choix cruciaux. Devons-nous prendre le risque de renoncer à un certain confort pour repartir à l’aventure et réaliser ses rêves ?
Et comme il n'arrive pas à prendre de décision seul, il va aller voir ses amis pour leur demander conseil, comme on le fait tous. Et là, ses amis sont le public. C’est au public qu’il va demander : « Qu'est-ce que je fais ? ».
Il s’agit d’une pièce où les spectateurs vont choisir la suite de l'histoire plusieurs fois au cours de la soirée, à propos d’amour, de travail, d’amitié, de mensonge, de trahison. D’un soir à l'autre, la pièce sera complètement différente suivant les chemins pris par les spectateurs.
Il y a cinq personnages. Je vais jouer le rôle de Max. Et je serai accompagné d’Erwan Creignou, (Mission Florimont, Le tour du monde en quatre-vingts jours), Benoît Tachoires (La dame blanche, le Tour du monde), Margaux Maillet (Le tour du monde), et Alyzée Costes (Piège pour Cendrillon, Coup de Théâtres, Dernier coup de ciseaux, La dame blanche).
Avec Sacha Danino, ça fait longtemps que nous souhaitions écrire une pièce avec une arborescence qui permettrait d’explorer plusieurs versions de la vie. Seulement, c’est un énorme chantier d’écriture, de mise en scène. Alors nous avons reculé souvent face à l’ampleur de la tâche. Et cette fois, nous étions prêts. Nous avions la bonne histoire, l’expérience aussi de la vie pour réfléchir à cette notion de choix qui est crucial pour nous tous, car derrière se cache l’idée de notre liberté individuelle et de notre libre arbitre, du sens de nos responsabilités. Nous voulions parler de tout ça et en même temps divertir le public, lui proposer une nouvelle expérience de théâtre.
Nous réfléchissons beaucoup en termes d’expérience nouvelle que nous pourrions faire vivre aux spectateurs. C’est peut-être ça qui plait. Quand nous avons commencé à « casser » le 4ème mur avec nos premiers spectacles il y a 15 ans, ça ne se faisait quasiment pas au théâtre. C’était mal vu pendant des années de jouer avec le public. On devait faire comme s’il n’était pas là. Petit à petit, Sacha et moi avons voulu l’inclure. Et aujourd’hui, on ne parle que de Théâtre Immersif.
Evidemment, nous ne savons pas à l’avance ce qui va plaire au public. Nous explorons des pistes. Parfois, ça rencontre une adhésion immédiate et parfois nous tombons à côté. C’est le risque bien sûr. Nous n’avons pas une formule toute faite. Nous tentons de surprendre à chaque fois, de changer de style. Et pourtant, plein de gens nous disent que nous en avons un qui nous est propre. Mais ce sont sans doute des choses qui nous échappent dans le processus de création.
Comment se passe le travail à distance avec les équipes et votre travail d’auteur ?
Nous ne répétons pas à distance mais nous faisons la préparation à distance. Je travaille avec ma décoratrice Juliette Azzopardi, ma costumière Pauline Zurini, mon créateur vidéo Mathias Delfau, le créateur lumière Philippe Lacombe.
Évidemment Pauline, qui fait les costumes, ne peut pas faire d'achat pour le moment, mais elle pourra le faire sans doute progressivement à partir du 11 mai. En revanche le décor pourra être construit. Nous allons essayer de tout faire pour répéter, en respectant évidemment les distances de sécurité.
Dans les théâtres que je dirige, les équipes techniques sont au chômage partiel à temps complet.
Intérieur du Théâtre Michel, Paris 9ème
Seule l’administration travaille à 30 %. Nous devons maintenir une continuité malgré tout et gérer une multitude de petites choses indispensables au jour le jour.
Cette pandémie arrive à une époque où nous sommes heureusement connectés, mais nous sommes confinés avec nos enfants à la maison. J’ai deux enfants et pour apprendre le texte c’est coton ! Sans parler de l'école à la maison... Le plus jeune demande une plus grande attention, et parfois au lieu de rédiger des emails, je joue aux Playmobils. Le grand me donne parfois la réplique, mais ça ne l’amuse pas tant que ça.
Et en dehors de tout ça ?
Je prolonge mes responsabilités de Directeur de Théâtre auprès du Fonds de Soutien, dont je suis trésorier. Je suis aussi membre du Comité Directeur du Syndicat National du Théâtre Privé et membre du Conseil d’Administration des Molières. Ce sont des responsabilités très importantes car lors de ces réunions entre directeurs nous réfléchissons à l’avenir de notre profession et à ce que nous pouvons faire jouer la solidarité entre nous. En ce moment, nous nous réunissons virtuellement pour tenter d’affronter la crise qui est dévastatrice pour notre secteur.
Finalement, je n’ai pas le loisir de profiter de ce temps de confinement pour créer, car il est difficile de se concentrer au milieu de la crise et de tous ces incendies à éteindre.
De plus, pour écrire j'ai besoin de la vie. C'est une démarche, j’ai toujours écrit dans l'action. Le matin, nous avons notre séance d’écriture. Mais après je retourne à la vie : je répète, je gère les théâtres, écoute de nouveaux projets, suit le travail d’artistes, je joue le soir ou alors je vais au théâtre… C’est une vie à 100 à l’heure. Le temps d'écriture est beaucoup plus calme et se nourrit de tout ce que j'ai vu ou ressenti par ailleurs.
Vous êtes au conseil d’administration des Molières, comment s’annonce la cérémonie ?
Nous allons faire pour les Molières 2020 une émission d’un nouveau genre avec France Télévision. Ce ne sera pas du tout une cérémonie telle qu'on la connaît. Elle aura lieu fin juin, toujours au Théâtre du Chatelet. Nous aurons les résultats du premier tour vers la fin du mois mai et début juin, nous pourrons voter pour le deuxième tour. Les artistes qui ont brillé durant la saison ne seront pas oubliés.
Entre les grèves et la crise sanitaire actuelle, c’est une saison très particulière pour les théâtres. Loin d’être la meilleure, on s'en souviendra ! Je peux même dire que c’est une saison noire.
Bertrand Tahmin, qui vient d'être élu Président du Syndicat, a dû gérer lors de sa première saison : les attaques menaçant l’existence du Fonds de Soutien, les grèves et maintenant le COVID-19. La saison 2019-2020 va marquer nos esprits et nous en parlerons encore à nos petits-enfants !
Pensez-vous que le public sera au rendez-vous dès la reprise ?
Je n’en ai aucune idée. A mon avis, en toute objectivité, la reprise sera une période très difficile pour nous. Nous allons devoir ouvrir sans location d’avance car nous ne vendons aucun billet pour le moment. C’est une situation inédite. Si nous ouvrons à la rentrée, tous les théâtres devront vendre tous leurs fauteuils en même temps.
Nous allons entrer dans une logique de survie. De plus, aurons-nous à l’automne encore des gestes barrières à respecter ? Très sincèrement, je ne vois pas comment nous pouvons ouvrir nos lieux si c’est le cas. Faudra-t-il que le public porte un masque ? Ce sera plus compliqué pour les acteurs, surtout s'il y a une scène de baiser…
Quelle est la première chose que vous avec envie de faire au moment du déconfinement ?
Voir mes amis et faire des apéros, des dîners, chez les uns et les autres. En attendant que les restaurants et les bars ouvrent… La chose qui me fait vraiment rêver, là en ce moment (à part un bungalow à Bali…) c’est une soirée, après le théâtre, avec mon équipe, sur une terrasse, devant la sortie des artistes.
Et sinon, dans un premier temps, nous allons retourner répéter. Et c’est déjà formidable. Nous allons préparer de beaux spectacles pour donner une envie formidable aux spectateurs de revenir au Théâtre ! Je suis tellement nostalgique tous les soirs à 20h d’entendre les applaudissements... Alors je me mets sur mon balcon et je salue ! Et je réalise seulement après que personne n’a payé sa place !
Le mot de la fin ?
Ne nous oubliez pas ! Surtout venez dès que vous serez en sécurité, venez nous voir, on va avoir besoin de vous. Et surtout, nous allons tout faire pour vous émerveiller, vous faire rire et réfléchir.
Merci