Sophie Jacob exerce le métier de scénographe depuis 1991 et est également professeur à l'Ecole Supérieure des Arts et Techniques (l’ESAT) depuis 1999. Elle est l’une des rares personnes du métier à encore procéder à l’ancienne en réalisant l’ensemble de ses plans et de ses maquettes entièrement à la main. Sophie nous a fait le plaisir de répondre à nos questions pour nous faire découvrir le métier de scénographe (aussi appelé décorateur de théâtre).
Comment êtes-vous devenue scénographe ?
Quand j’étais petite mes parents avaient un abonnement à la Comédie Française et ils m’y emmenaient régulièrement. A l’âge de 13 ans j’ai eu un flash et j’ai su que je voulais réaliser des décors de théâtre. J’ai donc passé un bac artistique, j’ai fait un an de classe préparatoire dans un atelier de dessin puis je suis rentrée à l’ESAT.
J’ai eu la chance d’avoir Claude Lemaire comme professeur et de travailler avec elle en tant qu’assistante, notamment sur un spectacle de Dario Fo à la Comédie Française. J’ai énormément appris lors de ces premières expériences professionnelles.
Après avoir été assistante j’ai suivi le parcours classique du métier à savoir commencer à travailler pour de petites compagnies, avec lesquelles on pratique le système D, ce qui m’a permis d’acquérir un réseau et de l’expérience puis de collaborer sur des spectacles à plus gros budgets.
Combien de temps faut-il pour concevoir le décor d’une pièce ?
La durée est totalement variable et dépend beaucoup de la pièce. Il faut au minimum prévoir un mois et demi à deux mois, et cela peut aller jusqu’à un an pour certaines réalisations. Ce fut le cas pour la pièce « Les uns sur les autres » avec Agnès Jaoui. Entre le moment où nous avons commencé les discussions et celui où le décor a été prêt, un an s’est écoulé.
Les uns sur les autres de Léonore Confino au théâtre de la Madeleine mise en scène Catherine Schaub, décor de Sophie Jacob (2014).
Quelles sont les différentes étapes dans la réalisation d’un décor ?
Je commence bien-sûr par lire le texte. La lecture m’amène certaines sensations, des idées de couleurs, un rythme et finalement une idée abstraite de ce que pourrait être le décor.
Viennent ensuite les discussions avec le metteur en scène qui insuffle sa vision. Certains ont une idée très précise de ce qu’ils souhaitent, d’autres me laissent beaucoup de liberté. L’idéal est d’avoir à faire à un metteur en scène avec lequel on peut échanger. C’est le cas en ce moment dans mon travail avec Jean-Luc Revol sur la pièce le Roi Lear qui sera jouée à partir du 11septembre 2015 au Théâtre de La Madeleine.
Je conçois ensuite les plans, puis la maquette du décor. Je travaille à l’ancienne c’est-à-dire entièrement à la main. Puis la maquette part aux ateliers de construction où le décor sera réalisé.
Une fois la maquette validée, j’échange également avec la personne en charge des costumes car son travail est étroitement lié à la conception de l’espace sur scène.
Je fais enfin tout ce qui est recherche de meubles et d’accessoires.
L’inspecteur WHAFF de Tom Stoppard mise en scène de Jean-Luc Revol, décor de Sophie Jacob (2008).
Où dénichez-vous les meubles et les accessoires pour vos décors ?
A une époque je me rendais aux puces et je fréquentais une brocante sur la nationale 20 qui était une véritable caverne d’Ali Baba. Malheureusement elle n’existe plus et finalement je ne travaille plus qu’avec les sites internet Ebay et Le Bon Coin. Si vous cherchez un fauteuil Art Déco, vous en trouverez 5 ou 6 en une après-midi aux puces et une vingtaine en une heure sur Ebay… le choix est vite fait !
Avez-vous une époque préférée ?
Les années 30 me plaisent, le contemporain aussi, mais je n'ai pas vraiment d’époque préférée. Ce qui me plait surtout c’est de concevoir des décors qui ne sont pas réalistes mais qui tirent vers l’onirique, le poétique. Au final je cherche à créer des espaces où la réalité est transcendée.
Prévoir les changements de décor, est-ce une partie difficile de votre métier ?
Les changements de décor doivent être rapides. La plupart du temps ce sont les comédiens eux-mêmes qui s’en chargent, pour des raisons budgétaires. On utilise des cintres auxquels les décors sont suspendus, des praticables roulants, des tournettes… Avoir une pièce avec de nombreux changements de décor demande un travail technique important mais c’est une réflexion riche et c’est plus amusant à mettre en place qu’un décor unique.
Quelles sont les pièces sur lesquelles vous avez particulièrement aimé travailler ?
J’ai adoré travaillé sur « Les uns et les autres » avec Agnès Jaoui dont le texte de Léonore Confino m’avait énormément plu. J’avais également eu l’occasion de travailler sur la pièce « Building » du même auteur et je serais ravie de travailler sur un de ses prochains textes.
Les pièces de Shakespeare me parlent énormément, j’ai déjà travaillé sur « La tempête », actuellement je travaille sur « Le Roi Lear » et j’espère en faire d’autres.
La Tempête de Shakespeare mise en scène de Jean-Luc Revol, décor de Sophie Jacob. (1998)
Comment se passent les relations avec les autres membres de l’équipe d’un spectacle ?
Le théâtre est un milieu particulier, assez fermé, où l’on trouve de fortes personnalités. Il faut savoir composer avec les égos de chacun et des sensibilités à fleur de peau. Les acteurs sont des personnes exposées qu’il faut savoir ménager. Ils vont avoir chacun leurs demandes en ce qui concerne la conception de l’espace alors je compose avec !
Nous remercions chaleureusement Sophie Jacob, qui a pris le temps de répondre à nos questions afin de nous faire partager son métier-passion de scénographe de théâtre.
Dans la série des métiers du théâtre, vous pouvez également retrouver en ligne sur notre site l’interview de Pascale Bordet, costumière.
